TINTIN

Publié le par JEN

TINTIN

 

Comme il était interdit de faire du bruit pendant la sieste de papi, qu'il faisait trop chaud pour aller jouer dehors, et qu'il se considérait trop grand pour faire la sieste, Clément traînait silencieusement dans la maison. Ce jour là, le hasard l'amena devant la bibliothèque de ses grands-parents où sont entassés un nombre considérable de livres aux titres incompréhensibles. Clément, qui avait appris à lire deux ans auparavant, se demandait pourquoi les grandes personnes accumulent tant d'ouvrages si laborieux à déchiffrer.

 

Les seuls lui paraissant dignes d'intérêt étaient ceux sur les dinosaures ou les châteaux, à cause des images. Il y avait aussi les albums de Tintin qu'il lisait avec son grand-père, en partageant les bulles : Papi assumant évidemment les grosses et lui les petites, plus faciles à lire. Il sélectionna : « Le crabe aux pinces d'or » parce que le titre lui semblait prometteur et, se calant bientôt confortablement par des coussins, il se plongea dans la découverte des aventures de l'astucieux petit reporter. Le début fut facile, d'autant qu'il sauta au passage quelques bulles un peu trop grosses. Cependant, au bout de dix minutes, ne comprenant plus vraiment l'histoire, il fut contraint de venir à bout d’une énorme bulle de neuf lignes. Les images commencèrent bientôt à se brouiller devant ses yeux et il se produisit quelque chose d'inhabituel. : le petit personnage de la bande dessinée lui fit un grand sourire et lui dit  gentiment :

- désolé pour les grosses bulles... Tu n'aimes pas trop, n'est-ce pas ?

- oui, c'est fatigant à lire, surtout qu'il faut aussi comprendre en même temps.

- bon, puisque nous ne sommes que tous les deux et que ton grand-père dort, je vais t’aider un peu. Pour que tu ne sois plus obligé de lire, je vais te faire rentrer dans notre histoire.

- c'est-à-dire...

- tu n'aurais quand même pas peur de m’accompagner dans mes aventures ?

- c'est que je ne connais pas cette histoire… On pourrait peut-être en choisir une autre que j'ai vue avec papi.

- Clément, tu me déçois ! D'abord tu as déjà huit ans, ensuite quel intérêt aurais-tu de participer à une aventure dont tu connais déjà la fin par cœur?

- toi ne risques rien : tu es le héros, et tu t’en sors toujours.

- je reconnais m'en sortir plutôt bien, même dans les situations extrêmes.

- toi, tu sais faire tellement de choses : piloter les avions, les bateaux, et puis tu es bricoleur. En plus tu parles toutes les langues...

- pas toutes, reconnut Tintin modestement, je n'ai été traduit qu’en 18 langues.

- ce doit être merveilleux de vivre toutes ces aventures... le capitaine Haddock, les Dupont…

- parlons-en de ces deux abrutis, ils sont tellement stupides que j'ai souvent envie de les planter en plein milieu de l'histoire. Quant à l'autre ivrogne, il sent tellement l'alcool que j'ai parfois envie de sortir des dessins. Pourtant, je suis obligé d'aller jusqu'au bout des aventures. Tu sais, être un héros comme moi, c'est une énorme responsabilité. J'aimerais beaucoup mieux être un petit garçon comme toi !

- pour moi non plus, ce n'est pas toujours drôle : mon grand-père m'oblige à ranger mes jouets, à manger, à me laver... J'ai une sœur qui est voleuse et menteuse...

- Moi je n'ai personne, je suis seul, toi tu as des grands-parents, une sœur, un papa, une maman, un chat... une vraie famille !

- et Milou alors ?

- un chien, tu parles d'une famille. Moi, je donnerais n'importe quoi pour avoir une sœur, une mère ou une mamie. Toi tu as tout cela et même en plus, je crois une amoureuse.

- heu...

- moi quand je rentre à Bruxelles,  personne ne m’attend. Entre mes quatre murs, je suis souvent désespéré et je me dis : « quand Hergé va-t-il enfin me laisser souffler quelque temps ou me faire rencontrer une jolie fille ».

- Hergé ?

- c'est celui qui m'a créé.

- c'est votre père ?

- pas du tout, je ne suis que sa créature, juste un dessin sur du papier. Regarde, toi par exemple, tu peux parler simplement avec des paroles.  Moi, tout ce que je dis dois être mis dans des bulles, c'est très pénible de parler en bulle.

- surtout les longues !

- les courtes ce n’est pas mieux ! Tu commences à parler : bulle. Tu hésites de nouveau : une bulle se forme. Tu poursuis : une nouvelle bulle s'ouvre et le pire n'est pas là.

 

Tintin resta silencieux quelques instant. Il semblait triste. Il refit alors une bulle qui semblait vide mais dans laquelle on devinait un gros chagrin.

- il y a une chose merveilleuse que je ne connais pas. Plus je l'imagine et plus elle me manque. Une chose à laquelle je n'ai jamais eu droit mais qui est essentiel pour aider  les gens à vivre.

- c'est quoi ? Demanda Clément

- c'est ce qui donne à la vie de toute sa saveur. C'est un sentiment délicat parfois léger, parfois puissant... Mais il est comme la jeunesse ou la santé : c'est quand on les perd qu'on commence à s'apercevoir qu'on les avait. Tu ne devines pas ?

- l'argent, suggéra Clément

- mais non, l'argent moi je n'en ai pas besoin, je ne paie jamais rien car je suis le héros, je ne mange pas, je ne bois pas sauf parfois quand mes aventure m'amène dans le désert. En fait, je n'ai aucun besoin matériel.

- la gloire peut-être ?

- encore moins ! La gloire, la notoriété je les ai déjà, je suis un personnage universellement connu. Imagine un instant que je me promène dans la rue, n'importe où sur l'un des cinq continents. Je serais immédiatement reconnu de tous !

- alors tu ne trouves pas, c'est la tendresse voyons ! J'imagine qu'elle a la douceur du lait, le goût du miel, un parfum de violettes.

 

Tintin lui expliqua des choses incompréhensibles. Il lui dit combien il regrettait de n'avoir jamais été enfant, combien il aurait aimé devenir vieux au lieu d'être condamné à rester un éternel jeune homme dont les aventures finissent toujours bien.

 

Il se produisit alors quelque chose d'étrange et d’infiniment agréable : Tintin qui semblait n'avoir plus rien à dire, réintégra sa bande dessinée à la page trente huit, cependant que Clément ressentit la caresse d'une main dans ses cheveux et la voix de sa mamie qui lui disait doucement :

- c'est bien, mon chéri, d'avoir fait une petite sieste. Papi est déjà dans le jardin, et moi je t'ai fait une belle tarte pour ton goûter.

 

Alors Clément vint se blottir contre sa grand-mère qu'il serra très fort de ses petits bras. Submergés par ce qui manquait tant au héros de l’album, il aperçu aussi que la tendresse avaient aussi une douce odeur de tarte aux pommes.

 

Jacques NOZICK

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