Approche logique du fait religieux - partie 4

Publié le par JEN

 

Les fluctuations de la morale 

 

La morale, qui devrait être un objectif fondamental des religions, n’a jamais été leur principal souci (contrairement à ce qu’elles affichent). Leurs objectifs essentiels étaient plutôt de conforter la puissance de leur organisation, de s’assurer la soumission des fidèles, et de susciter le prosélytisme. Elles se limitent généralement à une morale à minima correspondant à l’esprit des dix commandements (lui-même déjà présent dans le « Livre des morts égyptien» dans lequel était inséré un questionnaire sur les bonnes et mauvaises actions des postulants à la vie éternelle), c’est-à-dire au principe : « Ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.» De plus quand on se réfère à la Bible, au Coran ou à certains textes de l’Hindouisme, l’archaïque loi du Talion est largement présente. C'est ainsi que le code du roi Hammourabi de Babylone, gravé il y a plus de trente sept siècles sur une stèle, montre comme ambition « d'établir les règles d'une société équitable et juste à l'usage des générations futures ». Elle fut en usages pendant plus de mille ans. Ce code décrit une morale qui dans une époque de sauvagerie devait être un progrès certain, mais qui aujourd'hui semble d'une totale barbarie car elle est précisément fondée sur la loi du Talion et l'exemplarité de sanctions destinées à décourager les crimes. En voici quelques exemples (Traduction française d'après L. W. King) :

 

195. Si un fils frappe son père, ses mains seront tranchées à la hache.
196. Si un homme arrache l'œil d'un autre homme, son œil sera arraché.
197. Si un homme brise un os d'un autre homme, son os sera brisé.
198. Si il arrache l'œil d'un affranchi, ou brise un os a un affranchi, il lui paiera une livre d'or.
199. Si il arrache l'œil de l'esclave d'un autre homme, ou brise un os de l'esclave d'un autre homme, il devra payer la moitié de sa valeur.
200. Si un homme brise une dent de son égal, une dent doit lui être brisée aussi.
201. Si il brise une dent d'un affranchi, il lui paiera le tiers d'une livre d'or.
202. Si un homme frappe un homme plus élevé dans la hiérarchie, il recevra six coups de nerf de bœuf en public.
203. Si un homme né libre frappe un homme né libre de rang égal, il paiera une livre d'or.
204. Si un affranchi frappe un autre affranchi, il paiera la somme de dix shekels.
205. Si l'esclave d'un affranchi frappe un affranchi, on lui coupera l'oreille
.

 

Un progrès indéniable a été apporté par les Evangiles (compassion, amour du prochain), avec cependant une réserve concernant le dolorisme lié à la figure du Christ, rédempteur des péchés humains au prix de ses souffrances et de sa vie. Ce dolorisme a induit un discours habile et pervers prétendant que plus on souffre ici-bas et plus on goûtera de jubilation dans l’au-delà. La douleur a  même été érigée en vertu salvatrice par Saint Paul et la martyrologie des premiers chrétiens.

 

Dans beaucoup de religions, l’essentiel de la morale est contenu dans l’application scrupuleuse de la loi qui précise les fautes et péchés, le licite et l'illicite, et prévoit des sanctions rigoureuses : on coupe la main au voleur, on lapide la femme adultère. À l’évidence, il n’est pas possible, de nos jours, de qualifier de « morale » ce type de conduite archaïque et barbare permise autant par la religion que par des coutumes d’un autre âge. Pas plus que l’on puisse tolérer, l’excision des fillettes, la lapidation non seulement des femmes adultères, mais aussi de celles qui ont eu le malheur d’être violées, la prison des burkas, la polygamie, d'interdire l'avortement même suite à un viol, ou d'une manière générale, le fait de traiter les femmes comme une espèce inférieure.

 

La morale est évolutive, celle du moyen-âge où la vie ne valait pas cher, n’est plus applicable deux cents cinquante ans après le « siècles des lumières », ou la déclaration universelle des droits de l’homme, ou après des écrits comme le « Traité des trois imposteurs » ou le déchirant appel du curé Meslier. Pourtant aucune religion (franc-maçonnerie mise à part, mais est-ce la religion d’une morale universelle ?) n’a fait vraiment la promotion d’une morale fondée sur la tolérance, l’altruisme et le respect de la personne humaine.

 

Parmi toutes les tentatives historiques, retenons la géniale doctrine d’Epicure. Elle n’a malheureusement pas trouvé de promoteurs assez charismatiques pour ériger cette simple philosophie du bonheur et de la vertu jusqu’au rang de morale. L’humanité eut alors fait un grand pas qu’aucune des grandes religions n’a été capable d’accomplir. Nous aurions alors une morale véritablement hédoniste dont nous pourrions nous enorgueillir et dont le principe serait : « Fais à autrui le bien que tu voudrais qu’on te fasse.»

 

 

La tentation de l’extrémisme

 

Le fanatisme religieux est une sorte de folie auto suggestive qui essaie toujours d’accroître au maximum son emprise sur la population ou de lui imposer, même par la violence un « salut » qu’elle ne demande pas. Ce fut par exemple le cas hier de l'inquisition catholique, et ce l'est toujours des islamistes extrémistes, par exemple : les Talibans en Afghanistan, l’ACMI au Mali, ou les Shebabs en Somalie qui accomplissent dans ces pays mis à feu et à sang, les pires exactions.

 

Dans la plupart des pays musulmans, les religieux rigoristes assujettissent la population sous le joug de la charia avec une jubilation et un mysticisme évidents. Pour autant, ces populations qui n’ont souvent rien connu d’autre et sont à la fois complices et victimes des conditions de vies qui leurs sont imposées, sont-elles heureuses ? N’aspirent-t-elles pas à un minimum de démocratie et d’autonomie ? Le "printemps arabe l'a laissé pensé un temps.

 

Dans les pays majoritairement démocratiques et laïcs se pose le problème des populations immigrées d’origine musulmane qui n’arrivent pas à s’intégrer dans la société qui les a accueilli. La religion devient alors le prétexte à une justification identitaire, et au communautarisme, frein évident à l’assimilation. Pire, certains religieux extrémistes ne se cachent pas de refuser la société civile et de préconiser leur loi : la charia. Leur activisme trouve un écho favorable auprès d’une population défavorisée qui se marginalise et se replie sur elle-même ou d’esprits faibles aisément endoctrinables.

 

En réaction un autre extrémisme xénophobe apparaît, trouvant inadmissible que des immigrés puissent vouloir imposer leur dogmes dans un pays démocratique qui leur offre le bénéfice d’une laïcité bienveillante, de la tolérance et de la liberté d’expression. Valeurs appréciables inconnues dans la plupart des pays musulmans, mais dont ils profitent pour imposer leurs pratiques. D’autres brandissent même la menace d’une « colonisation de l’intérieur » par le seul effet de l’accroissement démographique de leurs coreligionnaires.

 

De tels extrémismes religieux sont évidemment préjudiciables d’abord pour l’image des musulmans modérés qui souhaitent s’intégrer au mieux dans leur pays d’accueil, et pour la démocratie, la paix sociale et surtout cette si fragile et inestimable privilège que constitue la laïcité. 

 

 

Le paradoxe de la foi agissante  

 

Comment, des personnes qui montrent une évidente intelligence dans des domaines comme la politique, le commerce ou la technique peuvent rester si totalement inhibés dans celui de leur croyance religieuse ? Pourquoi, dans ce domaine particulier perdent-ils tout sens critique ?

 

La réponse à ce paradoxe est que la croyance, besoin psychologique impératif des humains, n'est soumise qu'à la foi, contrairement à la connaissance qui est du ressort de l'intelligence rationnelle et du doute. Pour mieux le comprendre, on peut rappeler que les humains fonctionnent schématiquement sous trois modes :

 

-       mode neurovégétatif : il est cité pour mémoire, c'est celui qui gère inconsciemment nos automatismes vitaux et nos pulsions. Il correspond à la partie la plus ancienne de notre organisation nerveuse qualifiée de "cerveau reptilien". Il dépend, en outre des fantaisies de notre métabolisme.

-       mode affectif : il est aussi largement inconscient dans la mesure où l'origine de la plupart de nos réactions affectives nous échappent. C'est à son niveau que sont générées les croyances. Il conditionne notre caractère (confiant, jovial, inquiet, neurasthénique, mystique).

-       mode intellectuel : il est régit par la partie la plus récente de notre cerveau : le cortex frontal. Il nous permet de raisonner, de comparer et d'avoir un esprit critique.

 

Le problème reste que cette distinction formelle n'est pas si catégorique dans notre cerveau qui a un type de fonctionnement analogique très complexe faisant interagir simultanément plusieurs de ces modes, en interconnectant diverses aires cérébrales. C'est ainsi qu'un même sentiment ou un même concept peut faire interagir plusieurs parties du cerveau, dont la résultante sera une reconstruction subjective de la réalité propre à chaque individu. Ce processus mental nous échappe totalement, il n'a été mis en évidence que grâce à l'IRM et à l'observation d'anomalie résultant de dommage causés aux cerveaux de certains blessés.

 

Il n'est pas étonnant que nous soyons les spectateurs des émotions et des sentiments qui naissent en nous et qui, très largement, nous manipulent. A cet égard, les croyances, l'amour ou les phobies s'imposent à nous sans que notre volonté puisse intervenir. C'est pourquoi, des personnes instruites auxquelles la foi a été inculquée dès la plus tendre enfance peuvent être inconsciemment manipulés par celle-ci.

 

La foi s'impose d'elle-même, elle est régi par l'inconscient, y compris quand le croyant cherche à lui trouver des justifications qui lui semblent logiques. La croyance n'a pas besoin d'apprentissage ou d'effort de compréhension. C'est pourquoi il semble parfois paradoxal que des personnes instruites et raffinées soient si souvent inhibées par leur foi : elles se rendent compte que quelque chose n'est pas logique dans leur raisonnement, mais elles se sentent obligées de négliger ce qui est rationnel pour soutenir leur croyance par tous les moyens : la rhétorique, l'humour, la dérision ou finalement en se mettant en colère lorsqu'on leur montre combien leurs croyances sont saugrenues et puériles. La croyance distord la réalité, occulte ou minimise ce qui l'entrave et finit toujours par l'emporter.

 

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le dialogue entre des personnes de croyances religieuses ou politiques différentes est si difficile ou se limite généralement à un habile ou fatigant dialogue de sourds. La confrontation, au lieu de tempérer les croyances, ne fait généralement que les exacerber.

 

La croyance est la partie visible de mécanismes inconscients qui nous échappent, c'est pour cela qu'elle est si incontrôlable. On peut parfois réfréner nos sentiments ou nos croyances, mais jamais les faire naître délibérément. Nous somme largement les spectateurs des émotions qui conditionnent notre caractère personnel. C'est pourquoi les acquis culturels n'arrivent gère à changer en profondeur la propension d'un croyant à croire, même à des absurdités, surtout lorsque s'ajoute l'attrait de l'espérance dont le charme est de contenir en puissance tous les plaisirs possibles (par  exemple : la récompense pour les musulmans de jouir des houris aux virginités multiples).

 

C'est aussi pourquoi les progrès de l'intelligence logique et de la morale sont si désespérément lents chez les peuples soumis à des croyances fortes qui maintiennent les populations dans des situations archaïques. Il faut beaucoup de temps pour que les peuples s'extirpent de la religiosité, acquièrent un esprit critique et une indépendance d'esprit leur permettant d'envisager comme un progrès la laïcité et la démocratie.

 

Les sociétés n'évoluent pas selon la raison mais toujours sous l'influence et la contagion de pulsions affectives ou mystiques dont le moteur le plus constant est la peur. L'extension des moyens de communication et en particulier la révolution d'internet ne devraient pas y changer grand chose. Car si ces outils peuvent ouvrir considérablement le champs des connaissances de ceux qui les recherchent, ils peuvent tout autant être mis au service des croyances et même faciliter leur diffusion par la contagion mentale quasi instantanée permise par ces nouveaux médias dont on sait qu'ils rendent plus intelligents et curieux ceux qui le sont déjà, mais aussi plus stupides les autres.

 

 

Vers une  évolution  humaniste  

 

On assiste depuis la fin du 20 è siècle à des mouvements contradictoires, avec d'un côté une laïcisation croissante et une aspiration à la liberté (printemps arabe) encouragée par les médias, l'audiovisuel et internet. Mais aussi parallélement à une radicalisation d'extrémistes religieux. C'est flagrant dans les pays musulmans (et aussi, à une beaucoup moindre échelle dans les pays désormais libérés du joug communiste).

 

Il est évident que les hommes ne sauront pas se passer de mythes et de croyances, mais pas forcément en des dieux, qu’ils soient révélés ou fabriqués. Pourtant à chaque période de crise morale ou économique, les tendances religieuses se régénèrent.

 

L’influence des religions dans le monde est diverse et fluctuante. En règle générale, dans les pays « intellectuellement développés », elle a plutôt tendance à diminuer. Il n’y a cependant pas de corrélation absolue entre la richesse économique des pays et le degré de religiosité des populations. C’est ainsi qu’aux USA, on trouvera des fondamentalistes chrétiens parfaitement dépourvus de sens critique (Créationnistes, témoins de Jéhovah, et autres sectes activistes) alors que ce pays connaît un PIB des plus élevés au monde.  C’est encore plus caricatural en Arabie Saoudite.

 

Les religions ont une influence prépondérante sur les sociétés dans lesquelles elles sont majoritaires. Certaines religions comme l'islam rigoriste dénie même la seule idée de société civile qu'elle souhaiterait remplacer par une théocratie qui maintiendrait, pour son salut, la population sous le joug de la seule loi religieuse (charia). Si une minorité de dévots et de mystiques en retire une évidente jubilation, il est moins certain que l'ensemble de la population, qui aspire généralement à plus de justice, de liberté et d'éducation en soit vraiment heureuse, même quand le conditionnement culturel lui impose une certaine passivité.

 

Dans les sociétés traditionnelles où les populations sont peu instruites, les cultes restent fortement implantés et jouent encore un rôle considérable. Avec l’importance des flux migratoires, différentes religions qui s’ignoraient jusqu’à présent du fait de l’éloignement géographique, sont obligés de cohabiter en se respectant (plus souvent en faisant semblant).

 

Le seul phénomène inquiétant est l’existence de l’islamisme fondamentaliste, avec la folie du terrorisme qui peut frapper partout, autant dans les pays musulmans, qui le condamnent plus ou moins mollement que dans les autres. Surtout lorsqu’ils font appel aux faibles d’esprit tout glorieux de mourir en martyrs avec l’absurde certitude d’une récompense divine.

 

La grande question est de savoir comment remplacer, le droit religieux, là où il perdure, par un droit laïc fondé, non sur la sanction du péché (cette coercition fonctionne de moins en moins bien…) mais plutôt sur une incitation à observer des obligations civiques, celles-ci impliquant la vertu démocratique du respect de l’autre, du bien commun, de la liberté, de l’entre aide, qui ne sont malheureusement pas innés. Cette vertu nécessite une éducation, ainsi que l’exemplarité et la dissuasion de lois justes et consensuelles soutenues par un gouvernement légitime. Il faut se rappeler que les religions, partie intégrante de nos civilisations ont un double visage : avec des intentions apparemment louables et des moyens critiquables.

 

Le bilan historique reste terriblement négatif, voire accablant. Sans mettre en cause une religion plus qu’une autre, on doit désormais reconnaître que la plupart d’entre elles surtout les plus totalitaires constituent un frein contre la raison, l’intelligence et la paix. Ceci est particulièrement douloureux à comprendre pour les croyants sincères et bienveillants, qui finissent par prétendre que ce n’est pas la religion qui est mauvaise, mais l’humain lui-même, ce qui est une manière de confondre la cause et les effets. L’humain ne fait que des religions à son image.

 

On peut, à cet égard s’interroger aussi sur le mauvais exemple donné par le monde occidental gouverné par la finance et les marchés, qui fait cohabiter avec une parfaite bonne conscience, des nantis industrieux mais gaspilleurs des ressources écologiques, et une sous-humanité qui meurt de faim. Or la misère est largement dépendante de la culture, des tabous et des religions. Sans compter une influence sur la surnatalité qui provoque une explosion démographique, totalement absurde et scandaleuse de la population mondiale qui a doublé en un demi-siècle.

 

Certains pensent même que la conception religieuse de l’humain : « Espèce supérieure de création divine, faite pour dominer la nature et assujettir le monde », est aussi périmée qu’absurde. On mesure désormais que la croissance économique quelle sous entend devient suicidaire. Nous aurions, à cet égard, quelques leçons à prendre de ces populations « primitives » en voie de disparition, capables de vivre heureuses, en harmonie avec leur milieu écologique. Ces populations ne sont pas si ignorantes que l’on pourrait penser. Elles ont en effet développé une intelligence pragmatique fondée sur le partage, le respect de la nature, et sur une pensée complexe, mise en évidence par Claude Levi-Strauss.

 

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir là où règne toujours une misère intellectuelle et un obscurantisme qui fait que les prêtres, oulémas, marabouts, gourous, astrologues, et tous les exploiteurs de la crédulité humaine ont encore de beaux jours devant eux.

 

Cependant, malgré les imperfections inhérentes à notre nature humaine : belliqueuse, grégaire, égoïste et ayant une propension à la jouissance facile, il n’est pas utopiste de postuler une certaine évolution intellectuelle et morale. Sans doute sera-t-elle lente, avec des regains de barbarismes. Néanmoins, lorsqu’on examine une longue période historique, on peut relever quelques progrès. Non que l’homme lui-même ait pu évoluer en quelques milliers d’années : « L’homme est comme Dieu l’a fait, quelquefois pire.» Mais parce que les conditions d’existence, les lois, le respect de la personne humaine ont progressé.

 

On peut donc espérer que nos semblables, aussi imparfaits soient-ils, à moins d’une grosse bêtise (entraînant une catastrophe écologique irréversible) qui les rayeraient de la création, arriveront, probablement sans Dieu, à se gouverner, de manière plus vertueuse, pour rendre notre monde aussi « humanisé » et vivable que possible. Peut-être un jour, l’homme se débarrassera de toutes ses superstitions et inventera une nouvelle religion dont les seules finalités seront : l’humain et le bonheur, où le sublime et sage poème de Lucrèce apparaitra dans sa lumineuse clarté :

 

... rien n’est aussi doux que d’habiter les monts
    Fortifiés du savoir, citadelle de paix
    D’où l’on peut abaisser ses regards vers les autres,
    Les voir errer sans trêve, essayant de survivre,
    Se battant pour leur rang, leur talent, leur noblesse,
    S’efforçant nuit et jour par un labeur extrême
    D’atteindre des sommets de pouvoir, de richesse…
    Misérables esprits des hommes, cœurs aveugles !
    Dans quelle obscurité, dans quels périls absurdes
    Se consume pour rien leur presque rien de vie !
    N’entendez-vous donc pas ce que crie la nature ?
    Que veut-elle sinon l’absence de douleur
    Pour le corps, et pour l’âme un bonheur pacifié,
    Délivré des soucis, affranchi de la peur ?
    Le corps, nous le voyons se soucie de très peu :
    L’absence de souffrance est un plaisir exquis ;
    La nature apaisée n’en demande pas plus. 

 

 

5- CONCLUSIONS

 

Avant le « siècle des lumières », toute approche logique du fait religieux était quasiment impossible car la religion était partout un impératif culturel majeur et incontournable s’imposant autant aux sociétés qu’aux individus.

 

Dans un univers clos, ne connaissant que peu d’échanges avec d’autres sociétés d’organisation, de cultures et de religions différentes, les individus n’avaient aucune possibilité de faire des comparaisons et des réflexions objectives concernant les systèmes de pensées et les usages qui les construisent. Ils n’avaient d’ailleurs aucune conscience d’être intégralement formatés par la culture ambiante dans laquelle ils baignent, représentant pour eux leur référence unique et primordiale. Ils ne pouvaient donc qu’être persuadés que leurs dieux, leurs dogmes, leurs prophètes et leur foi sont les seuls vrais, justes et indépassables.

 

C’est ainsi qu’Epicure ne niait pas les Dieux, il se contentait de les ignorer autant qu’eux-mêmes ignorent les humains ou que Pascal, pourtant un des penseurs les plus brillants de son temps a proposé aux libertins son fameux pari (Qu’en serait-il advenu s’il était né mahométan ou hindou ?).

 

Avec le perfectionnement des moyens de transport qui mettent tous les continents à quelques heures d’avion, des moyens de communication audiovisuels et d’internet, les individus ne peuvent plus ignorer les autres communautés humaines. Cependant leurs réactions sont encore :

 

-        Le rejet instinctif, le repli communautaire ou la peur, la haine, la volonté d’éliminer ou d’asservir l’étranger.

-        Et rarement : l’envie de comprendre les différences des autres communautés.

 

Plus les individus sont enfermés dans un environnement culturel et religieux coercitif et rudimentaire, et plus il leur est difficile de dépasser le rejet ou la peur. Au contraire, à mesure que l’envie de comprendre l’autre progresse, la curiosité amène à avoir un esprit critique de ses propres usages, de sa religion ou de sa morale. Mais c’est là un processus lent et problématique car certaines questions sont paralysantes : les notions de péché, de licite et d’illicite, de bien et de mal, peuvent, en effet, paralyser ceux qui ont été conditionnés à leur stricte observance. L’inhibition est alors si puissante qu’elle subjugue la raison, même quand celle-ci semble en mesure de dépasser les différences culturelles ou religieuses.

 

C’est ainsi que le croyant d’une religion quelconque considérera faussement le croyant d’une autre religion comme "infidèle, impie, mécréant", en n’ayant même pas conscience que ces qualificatifs sont tout aussi applicables à lui-même par l’autre. De la même manière, l’athée reste incompréhensible pour le croyant fervent qui ne peut s’empêcher de penser que l’absence de foi en sa croyante est une attitude fautive et répréhensible. Il ne lui vient même pas à l’esprit que l’athée peut être plus vertueux, altruiste et intelligent que lui-même.

 

Les religions traditionnelles on été, depuis la nuit des temps, une nécessité culturelle impérative pour assurer l’ordre social et répondre aux craintes et aux espoirs existentiels des humains. Pour autant leur sectarisme les a toujours encouragé à favoriser l’ignorance de ce qui n’est pas leurs dogmes et la soumission. La plupart s’avèrent  donc difficilement compatibles avec une société civile tolérante et altruiste.

 

Si l’on donne quelque crédit à la superbe formule du Dalaï Lama : « La religion la meilleure est celle qui humanise le mieux » une tentative comme celle de la franc-maçonnerie, aussi imparfaite et folklorique soit-elle, serait celle de la religion la plus accomplie, puisqu’elle prône la vertu, la tolérance et la fraternité. Elle essaie modestement de travailler à une meilleure compréhension des humains pour favoriser l’avènement d’une morale laïque favorisant le bonheur de nos semblables. Cependant sa faiblesse est de s’adresser à un élite. Malgré quelques lueurs d’espoir et l’action des hommes de bonne volonté, le chemin risque d’être long pour que nos semblables « s’humanisent » vraiment en éloignant la barbarie et l’ignorance.

 


 

Postface

 

 

J’ai été tenté de joindre une bibliographie mais je me suis ravisé car j’ai jugé celle-ci inutilement longue pour un si modeste texte. D’autant que généralement la production d’une importante bibliographie révèle soit :

-       une excessive modestie de l’auteur si peu assuré dans ses propos qu’il pense indispensable de révéler les sources où il a puisé son savoir ou d’assurer au lecteur la preuve que ses citations ou ses idées sont bien celles de tel auteur, écrites dans tel ouvrage.

-       C’est aussi, pour certains universitaires, la manière de montrer leur érudition qui doit être proportionnelle au nombre d’ouvrages cités.

 

Je ne suis concerné par aucune de ces raisons : je ne suis pas modeste, mes sources je les ai digérées, oubliées (la culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié, ce qui pour moi est facile vue ma médiocre mémoire). Enfin je ne suis pas universitaire, mais un simple « amateur », c’est à dire quelqu’un qui aime le sujet qu’il traite, en ce qui me concerne : l’humain avec ses vertus et ses vices.

 

Il est évidemment indispensable d’aller voir et revoir les textes. Comment parler de la bible ou du coran sans les avoir lu ? Comment avoir une idée de la pensée grecque, sans en avoir côtoyé ses étonnants philosophes ? Comment avoir une idée précise de la noirceur des hommes sans avoir pris connaissance des exactions de l’inquisition, de la manière dont été traités et exterminés les indiens d’Amérique par les espagnoles et les portugais, les juifs par les nazis, les citoyens ordinaires par le « petit père du peuple » ? 

 

Il y a aussi tous ces libres innombrables qui ont façonné notre esprit de Montaigne aux grands auteurs du siècle des lumières, et de tous les ouvrages scientifiques ou de vulgarisation comme ceux de Laborit, sans compter les milliers d’émissions culturelles diffusées à la radio, et plus récemment l’apport d’internet, et bien évidemment tout ce que la vie m’a permis d’expérimenter. 

 

Qui peut dire comment s’est formé son jugement, comment s’est aiguisé son esprit critique, à partir de quel moment on cesse de prendre des vessies pour des lanternes. L’important est d’essayer d’intégrer toutes les connaissances possibles en se méfiant toujours des croyances dans lesquelles beaucoup finissent par s’engluer.

 

Je me satisfait d’être un « honnête homme » (qui a de l’intérêt pour tout et ne se pique de rien) à la fois curieux et prudent mais surtout indulgent, même quand je suis moqueur et que je m’amuse à révéler chez certains croyants une naïveté que je relève d’autant mieux qu’ils se prennent au sérieux ou se montrent d’une intolérance cruelle.

 

Né d'une mère catholique, d'un père juif et franc-maçon, j'ai eu la chance de grandir en marge des religions, bien que celles-ci m'aient toujours intéressé. J'ai par la suite, avec une constante curiosité, eu des contacts avec le bouddhisme, l'indouisme, l'islam et diverses religions animistes d'Afrique, d'Australie ou d'ailleurs. Avoir visité une soixantaine de pays sur tous les continents m'a donné l'envie de comprendre l'histoire des civilisations.

            

Même si j'ai pu approfondir certains domaines de la pensée ou de diverses techniques, j'ai toujours veillé à ce que mes connaissances ne soient jamais exclusives. Je suis naturellement devenu un "généraliste" un peu décalé, gardant toujours une certaine distance raisonnable avec ce que j'observe. Ma seule fierté est d'avoir tenté d'identifier ce qui est essentiel dans la masse exponentielle des connaissances disponibles, et d'avoir puisé dans des domaines radicalement différents, les éléments du puzzle permettant de comprendre ce monde du 21 è siècle qui semble si mal profiter des leçons de l'histoire.

 

J'ai accessoirement pu apprécier comment les diverses religions fonctionnent, naissent, s'influencent ou meurent. A travers elles, ce qui m'a passionné c'est essentiellement l'humain et son étonnante capacité à inventer le meilleur et le pire.

 

Si j'ai intitulé ces notes : "Parabole du père Noël ?" c'est pour rappeler plaisamment aux adultes qu'ils sont oublieux de leur enfance et des processus de leurs apprentissages qui conditionnent leurs croyances. Si la perte du père Noël n'a pas été un drame dans nos croyances juvéniles, c'est parce nous l'avons remplacé par la foi en nos parents. La perte de Dieu s'avère plus délicate parce qu'elle remet en cause nos certitudes et qu'on ne sait le remplacer que par la foi en nos semblables.

 

Jacques NOZICK

Publié dans Philosophie pratique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article