Inadéquation absolue

Publié le par JEN

 

 

Les premiers jours s'étaient bien passés, un peu comme des vacances inattendues. Tout le monde était aux petits soins pour lui, il n'avait plus qu'à attendre patiemment que la jambe qu’il s’était cassé au ski se ressoude. Cependant, au bout de quelque temps, il commença un peu à s'ennuyer de passer de la télé à l'ordinateur. Ses proches lui ayant apporté une abondante lecture, il eut le loisir de découvrir quelques articles intéressants. Il tomba en particulier sur un sujet captivant relatif aux découvertes faites grâce au télescope spatial Hubble, montrant des images extravagantes de galaxies insoupçonnées. Il y était expliqué combien la vision que nous avons de notre planète a changé depuis que nous avons pu observer notre globe terrestre flottant bizarrement dans l'espace sidéral. Mais surtout l’article relevait que, paradoxalement, nous n'avons pas encore su vraiment intégrer les conséquences métaphysiques et philosophiques de cette révolution astrophysique. Qu’il est, en effet, d’une surprenante inconséquence que l'humain puisse encore se croire au centre du monde et, ce qui est encore plus extravagant : à l'image d’un quelconque créateur. L’observation des étoiles née il y a des milliards d'années avant lui et de celles qui meurent dans des explosions gigantesques où se déploient des énergies invraisemblables... Tout cela devrait le rendre modeste car l’homme n’est plus désormais que l'insignifiant et hasardeux témoin d'un univers hallucinant. Enfin, le rédacteur s'amusait à poser une question saugrenue :

« Que faisait Dieu il y a 13,7 milliards d'années ? ».

 

Cette drôle de question sur laquelle Éric Blanchart ne se serait jamais arrêté en temps ordinaire, retint son attention. Immobilisé sur son lit, il avait tout loisir de laisser son esprit vagabonder une idée à l'autre. Il s'en vint à considérer que s'il était déjà infiniment problématiques d'imaginer un quelconque dieu dans un univers fini et immuable, il est encore plus paradoxal de le faire remonter à ce big-bang ou l'univers entier était concentré dans un volume minuscule avec une masse et une température quasi infinis. Éric Blanchart n'avait sur ce sujet que peu d'idées préconçues car les religions, comme les langues maternelles, s'apprennent dans l'enfance : or, dans la sienne, il avait surtout appris de ses parents le respect d'autrui et la gentillesse. Sa jeune conscience d’alors n'avait été embarrassée d'aucune superstition, pas plus que de la peur du péché ou des exigences d’un quelconque créateur. De plus, en grandissant, il s'était pourvu d'un réalisme à toute épreuve, conforté par le métier d'ingénieur qu’il avait choisi et par l’équilibre enviable d’une vie tranquille de célibataire.

 

Cependant, à la faveur d’un reportage sur les chrétiens d'Orient, de plus en plus persécutés dans de plusieurs pays majoritairement musulmans, il découvrit qu’on pouvait menacer ou massacrer des familles entières au seul motif que l'islam saurait accepter sur son terrain, la concurrence d'aucune autre croyance. Bien qu’il eût été choqué par ces révélations, pendant quelques jours, le jeune homme ne se posa pas de questions car jamais les problèmes de la religion ne l'avaient vraiment concerné.  Mais bientôt, l’article sur le cosmos, Dieu et le big bang lui revint à l’esprit et il se demanda comment il était possible que Dieu fut mêlé à la fois au grandiose le plus merveilleux et au sordide le plus abjecte.

 

Un soir qu’il avait jeté un œil à ses e-mails, Éric Blanchart, se retrouva sur internet à prendre connaissance d’un document envoyé par une de ses collègues. Un message s’afficha sur son écran : « Je sais que vous cherchez à savoir qui je suis ». Il pensa naturellement qu’il s’agissait encore d’une pub, et comme il n’avait aucune envie de perdre se temps à savoir de quel produit il pouvait s’agir, il ferma son ordinateur portable.

 

Le lendemain, il lut un nouveau message : « Je ne suis ni bon, ni charitable, ni juste ; je suis la beauté, le chaos et le hasard ». Il pensa que les publicitaires « poussent le bouchon un peu loin » et qu’il pourrait y avoir des gens un peu chatouilleux sur le principe de la religion, blessés de voir ainsi Dieu mis à toutes les sauces. Sans doute s’agissait-il d’une pub pour le « Caprice des Dieux » ou pour un quelconque fromage. Il se serait désintéressé immédiatement de cette publicité, si n’était apparu un nouveau texte : « Je vous ai bien eu ! Il ne s’agit nullement d’un fromage ! ». En lisant cela, le jeune homme se dit que les publicitaires sont vraiment très forts pour anticiper ainsi la réaction des consommateurs et piéger les gens. Comme il y avait une boite de dialogue, il répondit : « vous m’avez bien eu, mais vous n’aurez pas le dernier mot car je vais fermer immédiatement mon ordinateur ! » Avant même qu’il ne puisse cliquer sur son clavier, il eut la surprise de voir s’afficher en une fraction de seconde :

- Encore perdu ! je ne fais pas de la pub ! j’essaie seulement de dialoguer avec les humains, ce qui est pour moi très compliqué, vu que je n’ai absolument rien de commun avec vous. Mais je viens de découvrir internet qui me donne l’occasion, pour la toute première fois de communiquer avec vos semblables ?

- Comment faites vous pour taper si rapidement ? demanda-t-il, intrigué.

- Voyons, jeune homme, réfléchissez : je n’ai nul besoin de taper ! Ce qui s’affiche sur votre écran est la transcription instantanée d’une pensée ondulatoire purement conceptuelle. Je sais que vous ignorez beaucoup de choses, comme par exemple la matière noire dont je procède, mais vous ne pensez quand même pas que je suis un être qui vous ressemble… avec des doigts ? Quelle idée saugrenue vous faites-vous donc de Dieu ?

- Hé bien… celle que nous avons apprise… par la Bible ou le Coran !

- Vous plaisantez ! ces vieilleries auraient-elle encore cours ?

- Plus que jamais… ces livres sacrés ne transmettent-ils pas la parole de Dieu ?

- Vous vous moquez ? Que vos semblables aient pu croire aux extravagances qu’ils contiennent en des temps obscures où régnait l’ignorance est excusable ; aujourd’hui, ce ne l’est plus. N’avez-vous pas découvert un cosmos incommensurable avec ses milliards de galaxies renfermant des milliards d’étoiles ? Pensez-vous sérieusement que cet univers qui dépasse largement votre pauvre entendement soit compatible avec l’étroitesse de vue et l’archaïsme des textes dont vous ma parlez ? En un mot que ceux-ci, avec leurs histoires de bédouins et de turpitudes domestiques, puissent transcrire, d’une quelconque manière, la plus infime indication ayant quelque chose de commun avec moi ? Ne voyez-vous pas entre moi et ces vieilleries une inadéquation absolue ?

- Il y a pourtant beaucoup de gens très convenables qui y croient et qui respectent scrupuleusement les préceptes divins transmis par les prophètes…

- Quels prophètes ? Sachez que je ne me suis jamais adressé à aucun prophète ! Avant de découvrir internet, je n’avais même aucun moyen de communiquer avec votre espèce !

- J’ai pourtant toujours entendu parler des anges, ne sont-ils pas des messagers célestes ? L’ange Gabriel, par exemple. C’est lui, je crois, qui a fait l’annonce à la vierge et surtout qui a dicté le Coran à Mahomet…

- Mais mon pauvre ami, les anges sont une pure invention de ceux qui voulaient impressionner leurs dupes. Ne me dites pas qu’on croit encore à ces intermédiaires ailés qui défient les lois de la physique ? Quant à ce Mahomet, j’ai une certaine admiration pour lui : c’était un chef de guerre supérieurement malin ! Ce qu’il inventait était si merveilleux et astucieux pour l’époque que tout le monde y croyait ! C’était ce que vous appelleriez aujourd’hui un pervers narcissique à tendance notoirement paranoïaque. Il a été infiniment plus efficace que le pauvre Jésus ! Vous connaissez bien Mahomet ?

- Non pas vraiment, en fait je ne connais pas grand chose en matière de religion…

Tant mieux, votre jugement en sera d’autant moins perverti. N’avez-vous pas remarqué combien il est surprenant que les humains, qui ont pourtant un si gros cerveau s’en servent si mal ? Et même que des gens intelligents qui ont la foi s’ingénient à défendre des idées qui défient la logique et le simple bon sens ? La sacralisation, c’est le piège suprême dans lequel ils tombent comme des mouches ! On ne sacralise les choses que pour leur conférer des vertus qu’elles n’ont pas, mais qu’on a besoin de voir reconnues par les autres !

- Il y quand même des choses sacrées, par exemple les religions…

- Erreur, jeune homme ! ce ne sont pas les religions qui mériteraient d’être sacralisées, mais la liberté qu’on se reconnaît d’en avoir ou pas ! La sacralisation, Mahomet il a compris l’astuce mieux que quiconque, et avec quel opportunisme, du grand art ! De plus il a eu beaucoup de chance ! infiniment plus que l’autre… celui qui avait une petite moustache rigolote, comment s’appelle-t-il déjà ?

- Je ne  vois pas du tout...

- Voyons, celui qui a écrit Mein Kampf… ! Lui n’a pas eu autant de chance et voyez-vous, si Mahomet avait perdu ses guerres, on ne parlerait plus du Coran aujourd’hui ; de la même manière, si le moustachu avait gagné la sienne, vous auriez eu un nouveau livre sacré pour le prochain millénaire.

 - Excusez-moi, j’ai vraiment du mal à vous suivre…

- Mais si, vous êtes un garçon intelligent ! Vous allez comprendre… pourquoi les gens ont cru aux discours des prophètes ? à cause des miracles et de tout le merveilleux qu’ils y ont mis ! Le problème c’est que, dès qu’on est en mesure de prouver que les miracles annoncés sont pures fantaisies, non seulement ils ne fortifient plus les discours des prophètes, mais ils en ruinent la crédibilité ! Par exemple, se recommander de votre ange Gabriel, avant ça faisait sérieux ! Aujourd’hui ça devrait rendre méfiant car tous les messages qui en dépendent s’avèrent de pures fables ! Ah les humains, vous êtes d’une inconséquence désespérante ! je me demande quand vous cesserez de vous conduire comme des enfants cruels et arriérés ?

- Vous y allez fort…

- Mais non, mon jeune ami. La logique (qui, comme les lois de la physique, s’applique à vous comme à moi) exige que si les prémices d’un discours sont erronées, le discours entier devient faux. Tirez-en vous même les conséquences…

- Pourquoi me racontez-vous tout cela ?

- D’abord parce que vous vous êtes posé la question judicieuse de l’inadéquation absolue ! Mais aussi et surtout par jeu et pour le pur plaisir parce que, à la longue, le silence des espaces infinis est parfois monotone…

 

Lorsqu’il se réveilla, le lendemain matin, Éric Blanchart avant mal à la tête et il se sentait fatigué, comme s’il avait passé une mauvaise nuit. Il constata que son ordinateur portable, qu’il avait dû laisser ouvert à côté de lui sur le lit en s’endormant, s’était mis en veille. Il n’avait pas encore la conscience très claire, pourtant le surprenant dialogue qu’il avait eu avec Dieu lui revint immédiatement à l’esprit. Devant l’impossibilité de la chose, il souria en pensant qu’il avait vraisemblablement rêvé et que son pauvre cerveau mélangeait le réel et le rêve. Machinalement, il cliqua sur le clavier et l’écran s’éclaira : il n’y avait pas sur son ordinateur la moindre trace d’un quelconque dialogue. Il y avait juste un dossier dans lequel il avait placé quelques notes. Cependant, l’une d’entre elles attira son attention car il était sûr de ne pas l’y avoir introduite :

«  Croire en Dieu pour les adultes c’est comme croire au père Noël pour les enfants. La grande différence c’est que les enfants finissent toujours par s’apercevoir que ce n’est pas lui qui amène les cadeaux ».

 

Jacques NOZICK

 

 

 

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