Quatorze secondes

Publié le par JEN

Quatorze secondes

 

Lorsqu’une femme aimable monte en ascenseur avec son voisin, un homme courtois et sympathique, il est n’est pas anormal qu’ils échangent quelques propos cordiaux ni même que leur discussion se poursuivent sur le pallier au delà des quatorze secondes que dure l’ascension. Mais ce jour là, leur conversation dura plus que de coutume et fut conclue par de francs éclats de rire. C’est pourquoi, quand elle pénétra chez elle, la femme qui souriait encore, fut sèchement accueillie par son mari :

Je me demande ce que ce type peut bien avoir à te dire pour te tenir un quart d’heure sur le pallier !

Tu écoutes aux portes maintenant ?

Il faudrait être sourd pour ne pas t’entendre glousser comme une gamine avec ce bellâtre.

Bellâtre, ce n’est pas gentil pour le voisin, mais moi, me traiter de « gamine », je prends ça pour un compliment, répondit-elle pour se moquer de l’habituelle et absurde jalousie de son mari.

Je me demande ce qu’il peut bien te raconter ?

Cet homme charitable me plaint d’avoir à supporter un mari jaloux qui me contrôle, me donne l’argent au compte-gouttes, m’étouffe et me tape sur les nerfs !

-Tu ne lui aurais quand même pas dit…

Oh non, rassure-toi, j’aurais bien trop honte que tu deviennes la risée de l’immeuble.

Pour couper court à toute récrimination, elle jeta son sac sur un meuble et alla s’occuper à la cuisine, le seul endroit qui lui appartint vraiment.

Deux jours plus tard, à peine avait-elle refermé la porte derrière elle, qu’elle tomba sur le même voisin qui appelait l’ascenseur. Avant qu’il ne parle, elle mit le doigt sur sa bouche pour lui recommander le silence. L’homme obtempéra, non sans paraître surpris par cette injonction et demanda à voix basse :

Vous pourriez m’expliquer ?

Je suis désolée, je ne sais comment vous dire… mon mari supporte mal de m’entendre rire avec vous.

Comme elle allait s’éloigner, il la retint d’une main ferme et lui dit en la regardant attentivement :

Je ne comprends pas, vous m’en avez soit trop dit, soit pas assez.

Excusez-moi, j’ai eu un réflexe idiot, c’est sans importance.

Chère voisine, rien ne se survenant sans cause, vous devez m’expliquer pourquoi vous m’avez intimé le silence et pourquoi votre mari supporte mal de vous entendre rire en ma présence ?

Je ne pourrai vous répondre que si vous me promettez une discrétion absolue… il est jaloux. Je sais que c’est parfaitement ridicule, c’est une sorte de maladie, il est plus à plaindre qu’à blâmer.

Je comprends d’autant mieux que lorsqu’on épouse une femme aussi ravissante que vous, il n’est pas anormal d’éprouver comme lui quelque inquiétude.

Pourtant je ne lui donne aucun motif…

Ne vous méprenez pas, je suis convaincu que vous êtes irréprochable, mais pouvez-vous empêcher que les hommes qui découvrent votre beauté épanouie, ne vous suivent d’un regard admiratif.

Vous exagérez…

Aucunement, vous êtes fort jolie, et je suis même consterné de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Jusqu’à présent je vous croisais sans vraiment vous voir, mais maintenant que nous partageons un secret, je vous promets d’être plus attentif. A très bientôt !

Lorsqu’il s’inclina en souriant avant de s’éloigner, la femme ressentit un trouble inhabituel et se dit qu’elle aussi n’avait jamais été attentive à cet homme au regard pénétrant et la voix si douce. Pendant les jours qui suivirent, le hasard ne favorisa pas de nouvelle rencontre. La femme en  vint même à penser qu’elle s’était un peu illusionnée sur l’intérêt que pouvait lui porter l’aimable voisin. Mais un soir, ils se trouvèrent face à face :

Enfin je vous trouve, murmura-t-il, je me désespérais !

Moi aussi, s’entendit-elle lui avouer.

En lui prenant légèrement la main comme pour la guider, il s’effaça pour la laisser pénétrer dans l’ascenseur,  mais lorsque la porte coulissa, il garda cette main prisonnière et lui dit :

J’ai beaucoup pensé à vous, il faut que je vous parle…

Contre toute attente il n’appuya pas sur le bouton de leur étage mais sur « parking ». La voyant surprise il lui souria  et lui dit pour la rassurer :

Le parking n’est certes pas l’endroit le plus romantique, mais c’est le plus tranquille, personne n’y pénètre sans avoir préalablement allumé la lumière… j’ai beaucoup réfléchi à notre discussion. Si j’ai bien compris vous supportez les réprimandes de votre mari depuis des années pour des fautes que vous n’auriez pas commises car vous êtes une femme irréprochable, n’est-ce pas ?

Autant qu’on puisse l’être.

Vous avez donc subit une punition, soit imméritée… soit anticipée, dans le cas où deviendriez quelque peu infidèle… je caresse le fol espoir de vous permettre de réparer cette injustice, et de rendre hommage à votre beauté.

Ma beauté… savez-vous l’âge que j’ai ? Vous avez d’ailleurs parlé de « maturité » ça ne m’a pas échappé…

Elle vous va à ravir, peut-être aurai-je dû parler de plénitude, je suis bien maladroit…

En effet, surtout lorsqu’on connaît l’adage : « un fruit n’est jamais si savoureux que lorsqu’il commence à être trop mûr ». Mais je vous excuse car vous êtes fou, dit-elle en fermant les yeux.

Oui, répondit –il en posant sur sa bouche un léger baiser. Puis il murmura : vous êtes la plus savoureuse victime qu’il m’aie été donné de venger.

Et vous le plus charmant justicier.

Elle s’arracha à son étreinte et l’entraîna de nouveau vers la cabine :

Je suis vraiment désolée, mais mon mari…

Oui, je sais, le pauvre, il risque de s’inquiéter.

Pendant les quatorze secondes que dura l’ascension, il lui indiqua, près du plafonnier un endroit propice pour cacher des messages et après une  furtive caresse, la porte s’ouvrit, et tout deux se dirigèrent en silence vers leurs appartements respectifs.

En pénétrant chez elle, l’épouse encore émue et si peu habituée à être fautive, se précipita vers la salle de bain pour ne pas avoir à affronter le regard de son époux. Elle eut alors le loisir de s’observer : rien ne permettait de suspecter qu’elle venait d’accomplir ses premiers pas sur le chemin délicieux de l’adultère. Son miroir ne lui renvoya que le reflet d’une femme rayonnante dont ni le visage ni le corps n’avait encore été trop altéré par l’âge. Elle se trouva donc singulièrement belle et pensa que le péché lui allait bien.

Le lendemain matin, à la première occasion, elle se précipita à la cache de l’ascenseur et y trouva le mot suivant :

« Ma douce amie,

Pendant la semaine qui a précédé notre rencontre, j’avais imaginé de belles choses à vous dire, mais quand vous avez été près de moi, j’ai tout oublié. C’est pourquoi je me suis comporté d’une manière un peu hardie qui ne m’est pas habituelle. Reconnaissez cependant que vous ne m’avez pas découragé et que les circonstances nous ont poussé à la précipitation. Faites-moi savoir si vous ne m’en tenez pas rigueur, et surtout quand et comment je pourrai avoir le bonheur de vous revoir. »

Le soir même une réponse était posée dans la cache :

« Cher justicier,

L’honnête femme que je suis aurait dû être choquée par tant de précipitation. Cependant vos yeux ont plaidé pour vous autant que votre argument suivant lequel je suis une victime. Vous m’avez, en effet, convaincue que j’ai par avance largement payé toutes mes fautes à venir.

Loin de m’offusquer, votre détermination m’a montré que vous êtes réaliste, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Je ne doute pas que vous puissiez m’aider à faire valoir la considérable créance que j’aie sur le bonheur.

Une innocente victime »

C’est ainsi que débuta une aventure exemplaire que d’aucuns qualifieraient hâtivement d’immorale. Elle ne fit cependant que des heureux. Non seulement les nouveaux amants qui surent être discrets, mais aussi le mari qui ne sut jamais son infortune et bénéficia des constantes attentions d’une épouse devenue indulgente. En effet, lorsque celle-ci était victime des griefs de son époux, elle répondait désormais par un sourire aussi désarmant qu’incompréhensible. Cette apparente soumission flatta l’égoïsme forcené de son mari, caractéristique commune à tous les jaloux. Et comble d’ironie, ceux qui ont tant suspecté à tort deviennent généralement incapables de parer les vrais dangers qu’ils finissent même par encourager par leur attitude chicanière.

Quant aux deux amants, ils vécurent sans remord la douce connivence d’un bonheur parfait.

Jacques NOZICK

 

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