Éloge de la gentillesse

Publié le par JEN

Parmi les vertus et les qualités qui régissent les rapports humains, l’une d’elles, la gentillesse, semble  paradoxalement sous-estimée, voire méprisée. C’est un subtil mélange de politesse, de respect de l’autre, ou d’altruisme que chacun dose en fonction de son caractère ou des circonstances. Son usage est universel et on peut la recommander en toutes circonstances car elle enrichit et facilite les relations interpersonnelles, sociales et même professionnelles.
Dans la hiérarchie des vertus, la gentillesse n’est certes pas placée bien haut. Elle est, en effet, loin derrière l’amour, la générosité, l’altruisme, le courage, la compassion ou toute autre grande vertu héroïque mise en valeur par la littérature et les usages. Bien que mésestimée, elle joue pourtant un rôle primordial avec des formes d’expressions innombrables souvent ignorées dans l’histoire des rapports humains.

Faciliter les relations entre les personnes
La gentillesse est à la fois un moyen et une fin, une offre et une demande qui apporte autant de bénéfice pour soi-même que pour l’autre. Offrir un sourire est souvent propice à en générer un en retour de la part de notre interlocuteur. Sans doute cette réciprocité n’est-elle pas automatique, mais elle vaut d’être suscitée en ayant délibérément un préjugé favorable envers l’autre.
On peut, bien entendu, se demander si on peut être gentil avec les cons, les méchants ou les malfaisants ? C’est à conseiller, au moins tant que l’on n’a pas encore réussi à évaluer leur degré de bêtise ou de malveillance et leurs possibles nuisances. Cependant, avec les « délinquants relationnels » aucune relation de bienveillance n’étant possible, on s’autorisera à utiliser les mêmes moyens qu’eux avec une fermeté sans égal, ne serait-ce que pour leur éviter de nuire. On notera d’ailleurs que le mépris de la gentillesse est chez la plupart des gens un signe flagrant de bêtise ou d’esprit corrompu. Dans les deux cas, la prudence est  de rigueur et le gant de velours de la gentillesse ne doit pas faire oublier la lourdeur d’une main de fer.
Hormis ces cas inéluctables où la gentillesse n’a aucun effet, dans la plupart des situations cette vertu modeste qui s’allie à la courtoisie, à la politesse, et à la tolérance est très bénéfique. On se rend compte souvent que dans ce domaine, plus on donne et plus on reçoit.

L’action bienfaisante sur soi-même
Il faut aussi être gentil par intérêt personnel. D’abord avec soi-même (se tolérer, ne pas se culpabiliser, accepter ses faiblesses et s’encourager…). Cet effort bienveillant n’implique aucune forme de narcissisme, il oblige plutôt à chercher à se comprendre, c’est une manière d’introspection mêlée d’autodérision qui, nous aidant à prendre conscience de nous-même, nous permet d’avoir pour les autres plus d’indulgence. Cette propension nous rend plus optimistes, elle nous permet souvent de voir plutôt la bouteille à moitié pleine qu’à moitié vide. La compréhension que l’on cherche à avoir de son propre fonctionnement nous permet, sinon de juguler nos pulsions, au moins de les interpréter et de les relativiser. La gentillesse permet de réagir de manière plus réfléchie en situation de stress. Dans tous les cas elle favorise l’estime de soi, première étape au bonheur personnel, l’altruisme étant une caractéristique constante des gens heureux.

Faciliter des rapports sociaux pacifiés
Toutes les sociétés humaines fonctionnent avec des mécanismes de dominance et de soumission (familiales, religieuses, politiques, économiques…) dont l’échappatoire naturelle est la violence
Hélas pour beaucoup, l’homme reste « un loup pour l’homme ». Seule prime la loi du plus fort ou du plus rusé, et il n’est pas loin le temps où étaient encouragées les qualités guerrières. Avec ces interlocuteurs belliqueux, la gentillesse ne peut être utile que pour retarder les confrontations. D’autant qu’elle pourrait être comprise comme un signe de faiblesse, si elle n’est pas suivie de réactions rigoureuses et fermes. Lorsqu’on vous frappe la joue droite, il est maladroit de tendre la gauche. Il est parfois salutaire de répondre par un bon direct.
Dans les pays policés où règnent un minimum de lois et d’abondance économique, l’usage de la gentillesse est un antidote au stress créé par un monde hyper compétitif. Son bénéfice premier est de désamorcer de nombreux conflits, et de faciliter les débats.
Favoriser la gentillesse est sans doute une manière d’humaniser cette société égoïste et brutale qui se fixe des idéaux irréalisables  comme « liberté, égalité, fraternité » que l’on pourrait formuler plus modestement en  : « liberté, égalité, bienveillance» qui semble déjà presque inaccessibles.
Ne faudrait-il pas plutôt graver au frontispice de nos bâtiments publics et surtout de nos écoles : » fais aux autres le bien que tu voudrais qu’on te fasse », car l’apprentissage naturel de la gentillesse ne peut se faire que dans le jeune âge, à la manière des B.A. symboliques des scouts.

Un autre mode de management
La plupart des organisations humaines fonctionnent de manière pyramidale quasi militaire. Ceci vaut en particulier pour les entreprises et les administrations. Longtemps le ressort principal de l’autorité fut la crainte du subordonné envers le chef. Dans une société où l’information, la compétence, ou la gestion des ressources humaines importent de plus en plus, la gentillesse alliée à un minimum de charisme, à une exemplarité professionnelle et à une vision claire des situations, devient une arme beaucoup plus productive que la crainte. Elle favorise des rapports humains et professionnels décomplexés, met de l’huile dans les engrenages de la hiérarchie, impose la courtoisie.
Ce qui devient aujourd’hui le plus important en termes d’efficacité c’est la motivation. S’il y a moins de stress et de rancœur, plus de  travail en équipe, de partage des informations, l’efficacité peut être largement améliorée. La gentillesse peut largement y contribuer.

Gentillesse et spiritualité
La plupart des religions préconisent l’harmonie des rapports humains, mais celle-ci se justifie plus par rapport à une loi divine que pour des raisons purement humanistes. Certaines comme le christianisme mettent en avant le message de bonté et d’amour du Christ sensé avoir inspiré leurs dogmes. Si des fidèles respectent exemplairement les prescriptions des Evangiles  : amour, tolérance, charité, pardon, etc. ils peuvent le faire dans une posture de saints fort éloignée de la gentillesse.  En revanche la conduite de nombreux autres a plus été fondée sur la crainte, le péché, la punition ou le dolorisme. Pendant longtemps la peur du diable ou la menace de l’enfer ont été des armes pour contraindre les croyants à la soumission avec comme apothéose l’inquisition.
Le moins qu’on puisse dire est que la gentillesse était alors exclue de toute pratique religieuse. Le christianisme est un exemple parmi tant d’autres, l’islam et ses exactions ou l’indouisme n’ont rien à lui envier. La religion qui pourrait le mieux se prévaloir de la gentillesse dans son fonctionnement serait plutôt le bouddhisme dont la doctrine se rapproche assez d’une philosophie altruiste.
En termes de spiritualité, c’est la philosophie d’Epicure qui semble de loin la plus bienveillante, la plus portée à la tolérance, à la recherche du bonheur pour soi et pour autrui. Hélas cette philosophie vertueuse qui prône la satisfaction mesurée des plaisirs a été si bafouée par des siècles de dogmatisme qu’elle est tout entière à redécouvrir
La gentillesse peut être la marque d’une religion éclairée, plus tolérante et moins sectaire dans laquelle la spiritualité soit une porte ouverte sur le bonheur et non une illusion.
Ce rappel très succinct n’est mentionné que pour souligner que nos sociétés modernes émergent de guerres fratricides qui se sont succédées depuis la nuit des temps (certaines, hélas nombreuses, perdurent avec leurs cortèges de malheurs et de cruautés). Leurs effets pervers sont toujours présents dans l’inconscient collectif qui favorise souvent la haine, le patriotisme, les persécutions religieuses, la revanche. Nous sommes encore largement dans un monde barbare et dogmatique où la sauvagerie reste institutionnalisée.

Conclusions
Que la gentillesse soit méprisée par les imbéciles et les tordus est l’indice que l’humain, malgré ses moyens techniques et sa capacité à penser, n’arrive pas tout-à-fait à s’élever très au dessus de son état d’homo sapiens : belliqueux, affabulateur, jouisseur et accaparateur.
Cependant, est-il utopique de vouloir donner à la gentillesse ses lettres de noblesse, ne serait-ce que pour accéder à un mieux vivre ? N’est-elle pas : une quête d’échange et de réciprocité, une modeste preuve d’humanité, la forme première de « l’amour tout simple » ?

Jacques NOZICK

Publié dans Philosophie pratique

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D
je suis d'accord pour l'essentiel mais c'est une analyse philosophique de ce qu'est la gentillesse dans un monde dont les valeurs les certitudes et les règles sont établies la gentillesse est aussi<br /> l’éducation le rapport aux autres peut-être même la spiritualité aujourd'hui les codes ont changés les mots restent mais nous devons adopter nos comportements au monde qui nous entoure et la<br /> "gentillesse " vertu d'hier peut devenir handicap aujourd'hui car" elle est ou elle n'est pas "et l’interprétation du comportement du "gentil" depend des autres donc d'une société
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T
Tout cela est très juste , on attribuerait facilement à la gentillesse des synonymes très péjoratifs car le monde se veut un monde de requins où celui qui criera le plus fort et se fera le plus remarquer celui là atteindre les sommets.<br /> Remuer du vent voilà à quoi tient le fragile équilibre car peu importe ce que dit celui qui crie, l'important et qu'il le dise haut et fort. Pas de place pour celui dont le discours est réfléchi s'il ne l'enrobe pas d'agressivité.
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