L’illusoire envie de la belle mort
Mis à part quelques rares désespérés voulant quitter une vie parce qui leur est devenue insupportable, la plupart d’entre nous ne se résignent à disparaître qu’à regret et le plus tard possible.
Quand il faut s’y résoudre, chacun souhaite que ce soit de la manière la plus prompte et indolore possible. Cependant la réalité n’est pas souvent telle qu’on la souhaiterait car l’organisme s’acharne à subsister et les soins médicaux, les scrupules et la « bonne conscience » nous prolongent parfois au-delà du raisonnable.
Or une loi, dite « Léonetti » du nom de son rapporteur, définit désormais les droits du malade en fin de vie. Si elle était connue du corps médical et du public, ce qui est loin d’être le cas, elle serait une solution pratique à la quasi-totalité des cas de figures que nous allons examiner ici. Elle permet, en effet, l’arrêt de l’acharnement thérapeutique, la sédation de la douleur et même « l’euthanasie passive ». Sa seule limite est d’exclure « l’euthanasie active » et le suicide assisté, qui nécessitent le recours à un tiers (médecin ou proche) pour apporter au patient qui le demande, la libération d’une mort plus rapide.
C’est bien sûr cette exclusion qui suscite le débat entre les ceux qui réclament l’euthanasie et ceux qui la refusent. La querelle est à la fois morale, juridique, médicale et religieuse. Tous ayant partiellement raison et tort, elle devient essentiellement dogmatique.
Le droit de vivre et de mourir…
Les « Droits de l’Homme » reconnaissent à chacun la liberté de mener sa vie comme il l’entend, sans nuire à autrui. On peut donc s’interroger pourquoi ce droit ne pourrait être applicable aux ultimes moments de l’existence, y compris pour choisir les circonstances de sa mort quand celle-ci devient inéluctable. Le problème est que la mort peut être diversement « naturelle » et diversement « provoquée », aussi est-il utile d’analyser les différents cas possibles :
Mort naturelle autonome : c’est la fin normale du processus biologique vital occasionné par un ou plusieurs dysfonctionnements importants. Malheureusement l’arrêt des fonctions vitales est généralement long, douloureux ou dégradant.
Mort naturelle assistée : elle est désormais possible grâce aux « soins palliatifs » permettant aux patients d’attendre sans trop de douleur (génération avec une conscience dégradée ou absente) l’arrêt des fonctions vitales. La loi permet de plus, de renforcer la sédation, même si celle-ci doit d’accélérer la phase terminale.
Mort provoquée par suicide : bien qu’il pose des problèmes moraux, religieux ou pratiques, le suicide est légal.
Mort provoquée par suicide assisté : le processus est identique à ci-dessus, sauf que le malade n’ayant pas ou plus les moyens de mettre seul fin à ses jours, il doit avoir recours à un tiers (personnel médical ou proches). Cette pratique est illégale et le tiers portant assistance est condamnable. Cependant la jurisprudence se montre de plus en plus clémente et prononce désormais des condamnations souvent symboliques, bien que variables suivant les tribunaux.
Mort provoquée par euthanasie : elle est tout aussi illégale que précédemment, mais diffère du suicide assisté par le fait que l’arrêt du processus vital est décidé, non plus par le patient lui-même, mais par un collège incluant le corps médical et la famille, et ce, conformément aux désirs réitérés du malade (consignés dans ses « directives anticipées).
Discussion raisonnable
Si l’on peut faire une distinction entre les divers cas de décès, on doit aussi reconnaître que leurs frontières sont floues et aléatoires. Si la mort naturelle (autonome ou assistée) et le suicide posent peu de problèmes légaux, le suicide assisté et l’euthanasie suscitent un débat dont l’origine est essentiellement dogmatique.
Une réalité illusoire
Les pros avancent que la dignité de la fin de vie exige que soit dépénalisé le suicide assisté autant que l’euthanasie. Ils en ont une vision idéale qui ne correspond pas souvent à la réalité de la mort. En effet, quelles que soient ses circonstances, elle n’est jamais vraiment digne, sauf au théâtre où le moribond finit sa vie avec panache. Pour le commun des mortels, l’issue est pitoyable, anxiogène et souvent sordide.
Les antis prône le « laisser faire la nature ». Cette intention est aussi idéaliste dans la mesure où, désormais la médecine intervient toujours, soit pour soigner, lorsque cela en vaut la peine, soit pour favoriser une issue sinon indolore et rapide, au moins compatissante. Enfin dans une société laïque, aucune conviction religieuse ne saurait imposer ses dogmes à ceux qui ne les partagent pas.
Ces positions méritent d’être relativisée.
On ne peut pas toujours demander aux autres
La quasi-totalité des personnes qui souhaitent la légalisation de l’euthanasie le font poussées par le désir généralement inconscient de pouvoir disposer d’un échappatoire à l’angoisse et à la souffrance physique ou morale. Ils comptent alors sur l’hypothétique aide d’un tiers : le médecin. Notons qu’ils pourraient tout aussi logiquement s’en remettre à un proche ou se suicider tant qu’ils sont en mesure de le faire.
Or le médecin n’est pas tellement mieux armé psychologiquement que quiconque pour provoquer une mort intentionnelle, fut-elle libératrice, à des gens qui leur sont affectivement étrangers. C’est d’ailleurs pourquoi nombre d’entre eux se retranchent opportunément derrière le serment d’Hippocrate ou leurs convictions religieuses pour refuser d’accomplir une « sale besogne » qui n’entrait pas dans le cadre de leur vocation. C’est d’ailleurs pourquoi la « clause de conscience » est prévue pour leur préserver leur liberté de penser.
L’obligation morale de compassion
Il existe aussi des médecins et parfois des proches qui acceptent d’aider le patient en fin de vie par pure compassion et qui n’hésitent pas à provoquer ou accélérer le décès souhaité. Bien qu’elle soit illégale, cette pratique est de plus en plus fréquente mais peu connue car nécessairement discrète.
Dans un monde qui se veut civilisé, la plupart des formes de barbarie sont condamnées (peine de mort, torture, bûcher, lapidation, sacrifices, esclavage, ségrégation raciale ou religieuse…). Pour la même raison humaniste, les affres de la mort sont aussi devenus moralement inacceptables puisque désormais largement évitables.
Dans une société qui reconnaît comme sacré le principe de la dignité humaine, la « non assistance à personne en danger » va devenir « non assistance à personne en détresse » pour celui qui reste le témoin passif de la souffrance d’autrui.
La sagesse de la loi
La loi est généralement le fruit d’un consensus social et culturel. Or, vu les disparités d’opinions existantes, le législateur pouvait difficilement légaliser l’euthanasie, même en l’entourant de toutes les précautions comme c’est le cas dans plusieurs pays européens. Cependant les dispositions de la loi Léonetti ouvrent néanmoins fort habilement la possibilité pour le corps médical, non seulement de ne pas pratiquer d’acharnement thérapeutique, mais surtout de « forcer un peu » sur le traitement palliatif, quitte à écourter la vie du moribond. Cette disposition est astucieuse puisque simultanément :
- elle permet aux anti-euthanasie de ne pas considérer que les soins palliatifs soient à l’origine de l’interruption prématurée de la vie, ce qui moralement et techniquement s’apparenterait à l’euthanasie.
- elle permet aussi au pro-euthanasie de disposer d’une solution technique réaliste et légale pour écourter le calvaire du patient en fin de vie.
L’évolution nécessaire des consciences et des pratiques
L’inconvénient du militantisme c’est qu’il pousse ses troupes à un rigorisme qui ne permet pas de compromis. Ainsi, les militants de l’ADMD (dont la plupart mourront sans qu’on les y aident) auraient tout intérêt à s’employer à faire connaître et appliquer la loi Léonetti pour que l’ensemble de la population puisse en profiter, plutôt que de s’ingénier à fustiger ses insuffisances (elle n’est pas applicable aux personnes qui ne sont pas en fin de vie).
A contrario, ceci vaut tout autant pour leurs opposants qui devraient voir dans le statut quo de cette loi, une réponse honorable à leur credo, sans avoir besoin d’afficher des positions trop radicales, insoutenables à long terme.
Notons que la mort restera encore longtemps le tabou fondamental et qu’il n’est pas surprenant que le sujet paralyse l’évolution des consciences et des pratiques.
Ce seront sans doute les évolutions : de la médecine, des exigences individuelles des patients et des familles, et surtout des contraintes économiques (les ressources financières étant limitées, quel doit être leur usage prioritaire ?) qui feront évoluer les usages et les mentalités. La seule certitude étant que la mort reste la seule manière pour tous de quitter à regret… notre « vallée de larmes ».
Jacques NOZICK - EGPE
Quand il faut s’y résoudre, chacun souhaite que ce soit de la manière la plus prompte et indolore possible. Cependant la réalité n’est pas souvent telle qu’on la souhaiterait car l’organisme s’acharne à subsister et les soins médicaux, les scrupules et la « bonne conscience » nous prolongent parfois au-delà du raisonnable.
Or une loi, dite « Léonetti » du nom de son rapporteur, définit désormais les droits du malade en fin de vie. Si elle était connue du corps médical et du public, ce qui est loin d’être le cas, elle serait une solution pratique à la quasi-totalité des cas de figures que nous allons examiner ici. Elle permet, en effet, l’arrêt de l’acharnement thérapeutique, la sédation de la douleur et même « l’euthanasie passive ». Sa seule limite est d’exclure « l’euthanasie active » et le suicide assisté, qui nécessitent le recours à un tiers (médecin ou proche) pour apporter au patient qui le demande, la libération d’une mort plus rapide.
C’est bien sûr cette exclusion qui suscite le débat entre les ceux qui réclament l’euthanasie et ceux qui la refusent. La querelle est à la fois morale, juridique, médicale et religieuse. Tous ayant partiellement raison et tort, elle devient essentiellement dogmatique.
Le droit de vivre et de mourir…
Les « Droits de l’Homme » reconnaissent à chacun la liberté de mener sa vie comme il l’entend, sans nuire à autrui. On peut donc s’interroger pourquoi ce droit ne pourrait être applicable aux ultimes moments de l’existence, y compris pour choisir les circonstances de sa mort quand celle-ci devient inéluctable. Le problème est que la mort peut être diversement « naturelle » et diversement « provoquée », aussi est-il utile d’analyser les différents cas possibles :
Mort naturelle autonome : c’est la fin normale du processus biologique vital occasionné par un ou plusieurs dysfonctionnements importants. Malheureusement l’arrêt des fonctions vitales est généralement long, douloureux ou dégradant.
Mort naturelle assistée : elle est désormais possible grâce aux « soins palliatifs » permettant aux patients d’attendre sans trop de douleur (génération avec une conscience dégradée ou absente) l’arrêt des fonctions vitales. La loi permet de plus, de renforcer la sédation, même si celle-ci doit d’accélérer la phase terminale.
Mort provoquée par suicide : bien qu’il pose des problèmes moraux, religieux ou pratiques, le suicide est légal.
Mort provoquée par suicide assisté : le processus est identique à ci-dessus, sauf que le malade n’ayant pas ou plus les moyens de mettre seul fin à ses jours, il doit avoir recours à un tiers (personnel médical ou proches). Cette pratique est illégale et le tiers portant assistance est condamnable. Cependant la jurisprudence se montre de plus en plus clémente et prononce désormais des condamnations souvent symboliques, bien que variables suivant les tribunaux.
Mort provoquée par euthanasie : elle est tout aussi illégale que précédemment, mais diffère du suicide assisté par le fait que l’arrêt du processus vital est décidé, non plus par le patient lui-même, mais par un collège incluant le corps médical et la famille, et ce, conformément aux désirs réitérés du malade (consignés dans ses « directives anticipées).
Discussion raisonnable
Si l’on peut faire une distinction entre les divers cas de décès, on doit aussi reconnaître que leurs frontières sont floues et aléatoires. Si la mort naturelle (autonome ou assistée) et le suicide posent peu de problèmes légaux, le suicide assisté et l’euthanasie suscitent un débat dont l’origine est essentiellement dogmatique.
Une réalité illusoire
Les pros avancent que la dignité de la fin de vie exige que soit dépénalisé le suicide assisté autant que l’euthanasie. Ils en ont une vision idéale qui ne correspond pas souvent à la réalité de la mort. En effet, quelles que soient ses circonstances, elle n’est jamais vraiment digne, sauf au théâtre où le moribond finit sa vie avec panache. Pour le commun des mortels, l’issue est pitoyable, anxiogène et souvent sordide.
Les antis prône le « laisser faire la nature ». Cette intention est aussi idéaliste dans la mesure où, désormais la médecine intervient toujours, soit pour soigner, lorsque cela en vaut la peine, soit pour favoriser une issue sinon indolore et rapide, au moins compatissante. Enfin dans une société laïque, aucune conviction religieuse ne saurait imposer ses dogmes à ceux qui ne les partagent pas.
Ces positions méritent d’être relativisée.
On ne peut pas toujours demander aux autres
La quasi-totalité des personnes qui souhaitent la légalisation de l’euthanasie le font poussées par le désir généralement inconscient de pouvoir disposer d’un échappatoire à l’angoisse et à la souffrance physique ou morale. Ils comptent alors sur l’hypothétique aide d’un tiers : le médecin. Notons qu’ils pourraient tout aussi logiquement s’en remettre à un proche ou se suicider tant qu’ils sont en mesure de le faire.
Or le médecin n’est pas tellement mieux armé psychologiquement que quiconque pour provoquer une mort intentionnelle, fut-elle libératrice, à des gens qui leur sont affectivement étrangers. C’est d’ailleurs pourquoi nombre d’entre eux se retranchent opportunément derrière le serment d’Hippocrate ou leurs convictions religieuses pour refuser d’accomplir une « sale besogne » qui n’entrait pas dans le cadre de leur vocation. C’est d’ailleurs pourquoi la « clause de conscience » est prévue pour leur préserver leur liberté de penser.
L’obligation morale de compassion
Il existe aussi des médecins et parfois des proches qui acceptent d’aider le patient en fin de vie par pure compassion et qui n’hésitent pas à provoquer ou accélérer le décès souhaité. Bien qu’elle soit illégale, cette pratique est de plus en plus fréquente mais peu connue car nécessairement discrète.
Dans un monde qui se veut civilisé, la plupart des formes de barbarie sont condamnées (peine de mort, torture, bûcher, lapidation, sacrifices, esclavage, ségrégation raciale ou religieuse…). Pour la même raison humaniste, les affres de la mort sont aussi devenus moralement inacceptables puisque désormais largement évitables.
Dans une société qui reconnaît comme sacré le principe de la dignité humaine, la « non assistance à personne en danger » va devenir « non assistance à personne en détresse » pour celui qui reste le témoin passif de la souffrance d’autrui.
La sagesse de la loi
La loi est généralement le fruit d’un consensus social et culturel. Or, vu les disparités d’opinions existantes, le législateur pouvait difficilement légaliser l’euthanasie, même en l’entourant de toutes les précautions comme c’est le cas dans plusieurs pays européens. Cependant les dispositions de la loi Léonetti ouvrent néanmoins fort habilement la possibilité pour le corps médical, non seulement de ne pas pratiquer d’acharnement thérapeutique, mais surtout de « forcer un peu » sur le traitement palliatif, quitte à écourter la vie du moribond. Cette disposition est astucieuse puisque simultanément :
- elle permet aux anti-euthanasie de ne pas considérer que les soins palliatifs soient à l’origine de l’interruption prématurée de la vie, ce qui moralement et techniquement s’apparenterait à l’euthanasie.
- elle permet aussi au pro-euthanasie de disposer d’une solution technique réaliste et légale pour écourter le calvaire du patient en fin de vie.
L’évolution nécessaire des consciences et des pratiques
L’inconvénient du militantisme c’est qu’il pousse ses troupes à un rigorisme qui ne permet pas de compromis. Ainsi, les militants de l’ADMD (dont la plupart mourront sans qu’on les y aident) auraient tout intérêt à s’employer à faire connaître et appliquer la loi Léonetti pour que l’ensemble de la population puisse en profiter, plutôt que de s’ingénier à fustiger ses insuffisances (elle n’est pas applicable aux personnes qui ne sont pas en fin de vie).
A contrario, ceci vaut tout autant pour leurs opposants qui devraient voir dans le statut quo de cette loi, une réponse honorable à leur credo, sans avoir besoin d’afficher des positions trop radicales, insoutenables à long terme.
Notons que la mort restera encore longtemps le tabou fondamental et qu’il n’est pas surprenant que le sujet paralyse l’évolution des consciences et des pratiques.
Ce seront sans doute les évolutions : de la médecine, des exigences individuelles des patients et des familles, et surtout des contraintes économiques (les ressources financières étant limitées, quel doit être leur usage prioritaire ?) qui feront évoluer les usages et les mentalités. La seule certitude étant que la mort reste la seule manière pour tous de quitter à regret… notre « vallée de larmes ».
Jacques NOZICK - EGPE