Approche logique du fait religieux

Publié le par JEN

Approche logique du fait religieux

par Jacques NOZICK

 

« La religion la meilleure est celle qui humanise le mieux » DalaÏ Lama

 

Comme les hommes qui les font, les religions sont capables du meilleur comme du pire.

 

La parabole du Père Noël

Tous les enfants croient sincèrement au père Noël. Cette croyance est bénéfique : elle apporte l’espérance d’un cadeau et les rend parfois un peu plus sages. Cependant un jour, parce que les enfants s’éveillent à la raison et qu’ils s’interrogent sur le mystère du père Noël, les parents ou les camarades sont obligés de leur avouer une vérité qui ruine leur foi puérile.

Dans son principe, la croyance au père Noël par les enfants ressemble assez à celle à Dieu pour les adultes. La grande différence c’est que dans le premier cas, on sait qui apporte les jouets alors dans le second, personne n’ose avouer qu’on l’ignore. Si dans le premier cas le mystère se dissipe aisément par l’aveu même des parents, dans le second, il faut beaucoup de liberté d’esprit et de curiosité pour comprendre.

Mais il y a une autre différence primordiale, c’est que l’enfant accepte aisément de remettre en cause ce qu’il croit savoir, d’où les incessantes questions que les bambins aiment à poser. L’adulte, lui a perdu cette disponibilité d’esprit. Aussi est-il indispensable pour aborder les problèmes passionnants des religions, de leurs dogmes, des hommes qui les ont imaginées, d’avoir une ouverture d’esprit sans laquelle toute réflexion en cette manière sera pure perte de temps.

 

Avertissement 

Les religions sont généralement abordées par leurs croyants respectifs sous l’angle de la foi, des dogmes ou de la théologie. Nous n’entrerons dans ces considérations qu’à titre illustratif.

Toutes les civilisations, toutes cultures, toutes les sociétés humaines sont respectables en ce qu’elles procèdent du génie humain dans son étonnante diversité. Des plus modernes aux plus traditionnels, leur plus petit commun dénominateur est l’humain, avec d’incontournables similitudes de sentiments, besoins affectifs, interrogations, craintes, rivalités, pulsions… mises en évidence par les ethnologues. Si aucune civilisation ne peut se proclamer au-dessus d’une autre, elles peuvent cependant être comparées en  ce qu’elles incitent plus ou moins à la dignité, au bonheur des hommes, ou qu’elles favorisent la connaissance ou l’obscurantisme.

Autant que faire se peut, notre approche se limitera à ces aspects et s’efforcera de rester humaniste et logique, considérant que l’histoire de l’humanité résulte d’une longue adaptation neurocognitive (acquisitions de notre cortex préfrontal, siège des actions conscientes et réfléchies) à des compréhensions diversifiées de nous-mêmes et du monde qui nous entoure.

Nous vous proposons donc un voyage en toute liberté et sans concession dans l’univers compliqué des religions des hommes.

 

Vocation des religions

Leur première vocation est de relier (religare) les membres d’une communauté autour d’une croyance établi par un corpus de règles et de dogmes qui régissent la vie des fidèles. Elles ont aussi une autre vocation : celle de promouvoir une expérience mystique par la prière ou la méditation.

Sur le plan individuel, la plupart des religions aident leurs fidèles à mieux supporter le fardeau d’existences difficiles, par la promesse d’une vie future meilleure que celle connue ici-bas. Elles permettent, en effet d’évacuer le stress résultant de conditions de vies difficiles et d’angoisses existentielles par des processus neuro-cognitifs que l’on commence à bien expliquer et qui mettent en œuvre  le duo fonctionnel conscient-inconscient empiriquement exploré par Socrate, et mis en lumière par les neurosciences.

Elles sont donc une réponse accessible au besoin de spiritualité et de religiosité inhérent à la nature humaine.

Sur le plan collectif, faisant partie intégrante de la culture et des civilisations, elles ont aussi pour fonction d’organiser un ordre social stable, souvent au bénéfice d’une classe dirigeante. Le respect des dogmes et obligations religieuses assure, en effet, la passivité des fidèles. Cette soumission à l’ordre établi par la loi religieuse est encore très présente dans les sociétés traditionnelles. Dans les pays démocratiques où l’instruction est plus développée et où il existe des lois civiques, ce sont elles qui règlent la vie de la société.

Dans un monde qui évolue de plus en plus vite avec une information instantanée et quasi planétaire, avec la mondialisation, avec la montée de la laïcité, de l’individualisme et de l’instruction, on peut s’interroger sur la manière dont vont évoluer les religions. Et même, accessoirement, se demander si elles sont encore utiles pour apporter le bonheur et l’ordre social.

Cependant, avant de porter un regard prospectif sur les religions, il est utile de comprendre leurs évolutions historiques, leurs combats, leurs doctrines, en essayant, autant que faire se peut de garder une distance objective.

 

Les religions premières, polythéismes, animisme…

On constate que les différents environnements : culturels, sociaux, économiques ou écologiques ont produit au cours des temps, une diversité surprenante de religions, et de croyances. Certaines existent encore, mais beaucoup ont disparu avec les civilisations qui les ont fait naître. Malgré le peu que nous en savons, il est primordial d’y faire allusion car non seulement elles appartiennent à la production du génie humain, mais surtout elles ont influencé les religions actuelles. Une des plus brillantes restera la religion égyptienne qui a profondément marqué celles qui l’ont suivi.

On peut citer pour  mémoire : les religions de la nature, les cultes des esprits, l’animisme sous toutes ses formes, les croyances des amérindiens, polynésiens, aborigènes d’Australie, etc. Chacune, par ses spécificités, et ses dogmes mériteraient d’être honorée par un long développement. Cependant, sans vouloir les ignorer, nous sommes obligés de nous limiter aux religions qui sont en rapport directe avec celles qui dominent le monde moderne, étant entendu que la quasi-totalité des religions ont des modes de fonctionnent assez similaires.

Parmi les religions « survivantes »,   nous rapellerons les croyances de la Grèce antique, recyclées par Rome, qui ont influencé tout le bassin méditerranéen, et la religion juive qui a donné naissance aux grands monothéismes. Le polythéisme grec et romain a invité à son panthéon tous les dieux de l’époque, pour créer une mythologie et une philosophie dont on retrouve encore des traces multiples aujourd’hui. Il n’est pas inexact de parler de civilisation gréco-latine. Cependant, si la grecque l’a inspirée, la latine l’a véhiculée, la juive l’a révolutionnée avec l’émergence du christianisme.

Nous avons une certaine connaissance du judaïsme à l’époque romaine, avec ses influences et les diffèrents courants sectaires qui l’ont traversé. Si la plupart de ceux-ci sont oubliés de l’histoire, l’un d’eux : le christianisme a connu une réussite considérable, suivie au 7e siècle d’une autre réussite non moins exceptionnelle : l’islam. Si ces trois religions se sont par la suite exclues les unes les autres, c’est pour des divergences dogmatiques ou les intérêts personnels de leurs promoteurs, et par les mécanismes de la concurrence que nous évoquerons plus loin.

Le Judaïsme mérite quelques remarques, non seulement à cause de son rôle fondateur longuement décrit dans l’Ancien Testament, et par les historiens juifs et romains, mais aussi par ses caractéristiques encore actuelles. C’est une religion qui a eu tendance, tout en étant dogmatique et contraignante dans ses rituels, à favoriser néanmoins l’étude, le raisonnement et parfois une certaine dérision. En outre, sa diaspora l’a conduite à une vie largement communautaire, indispensable pour maintenir ses traditions, mais qui s’est enrichie des spécificités culturelles des sociétés avec lesquelles elle a dû cohabiter. Ceci explique peut-être que, malgré une faiblesse numérique évidente (le judaïsme n’a jamais manifesté de prosélytisme comme les autres religions du Livre, et la conversion à cette confession est toujours très difficile), et des conditions de survie difficiles, elle a montré, par nombre de ses membres les plus émancipés, une créativité intellectuelle enviable. Cette qualité que l’on peut reconnaître au « peuple juif », pourtant très disparate, et au plus célèbre d’entre ses fils : Jésus-Christ, est indéniable. Pour autant, cette religion n’est pas exempte des travers des autres (dogmatisme, fanatisme…) dont nous allons débattre.

 

Les religions :  productions humaines sous influence divine

On constate que toutes les religions utilisent des moyens similaires pour fonctionner et se transmettre. D’une part, elles offrent à leurs adeptes des raisons de croire et d’espérer (vie future, paradis, réincarnations, bonheur…). D’autre part elles opposent, à tous les comportements jugés non conformes aux dogmes ou déviants, des sanctions ou des menaces (damnation, excommunication, pénitence, brimades...). En plus de l’alternative de punition et de récompense, certaines religions ont créé des « pièges intellectuels » habiles pour s’imposer de manière indiscutée et indiscutable. Le premier, de loin le plus efficace, est celui de la « sacralisation ». Il concerne les prophètes, les textes sacrés et jusqu’au mécanisme même de la foi. Il consiste à leur attribuer une valeur primordiale, ce qui leur confère une autorité indiscutable, et la vertu d’être « intouchable ».

 

Parée de ce qu’elle a sacralisé, chaque religion peut rester durablement persuadée que ses prophètes sont les plus fiables, ses textes sacrés d’inspiration la plus divine et la foi de ses croyants la plus véritable.  Cependant, cette sacralisation ne vaut guère à l’extérieur de la croyance considérée. Elle ne concerne aucunement l’observateur qui n’y adhère pas. Celui-ci prendra la liberté intellectuelle de considérer la qualité : historique, littéraire, philosophique, sociologique d’un texte, ou le charisme d’un prophète, et ce d’une manière logique. Il pourra alors, sans même avoir besoin de savantes exégèses, relever des anomalies, ou des invraisemblances qui échappent, malgré leur énormité, aux membres respectifs des religions soumis aux effets de l’inhibition du sacré.

 

Bien entendu, cette approche peut susciter de vives réactions de la part des croyants s’ils se voient extirpés de leur cocon mystique. Ceux qui se complaisaient dans un obscurantisme confortable relatif à la science ou à l’histoire, mais agrémenté des certitudes de leur foi, réagiront le plus souvent par une attitude violente ou un repli sur des croyances infantilisantes. Parfois cependant, certains commenceront à réfléchir, ce à quoi nous les invitons à présent, car si la connaissance ne règle pas tous les problèmes, ce n’est pas avec l’ignorance qu’on leur trouvera des solutions.

 

D’un point de vue strictement logique, chacun est, par exemple, obligé de constater que les prophètes sont nombreux, leurs messages discordants, les textes révélés incompatibles. Ceci pose un énorme problème de crédibilité : qui est dans le vrai, qui est dans l’erreur ? L’autre, forcément. L’ennui c’est qu’on est toujours l’autre de quelqu’un. C’est pourquoi il est indispensable de se placer à l’extérieur de toute chapelle, et s’il y a erreurs ou incohérences, on les trouvera dans la chaîne logique suivante : Dieu – intermédiaire – message – transcription humaine – corpus religieux – croyant.

Avant de rentrer dans les particularités des religions, essayons de réfléchir à chacun des maillons de cette chaîne :

 

Dieu :

Par égard pour les croyants, on peut postuler que Dieu existe. On ne saurait connaître pourtant en aucune façon ses attributs, et encore moins ses « intentions », terme sans doute impropre dans la mesure où prêter à l’entité divine des « intentions » supposerait que nous ayons une idée de la manière dont il fonctionne, ce que ne sait appréhender aucun de nos sens ou notre pauvre intelligence humaine. Reconnaissons humblement qu’en matière de divin, notre déficit informationnel est total.

 

L’intermédiaire : le prophète

Nous pourrions postuler qu’il a été inspiré par le divin. Mais nous pouvons tout aussi penser qu’il s’agit (surtout pour les autres religions : celles des impies, mécréants, païens et autres infidèles…) d’un habile manipulateur, ou d’un illuminé. La mise en évidence d’incohérences du message de l’intermédiaire présumé, nous permettra de nous prononcer logiquement sur sa sincérité. Seule précaution : nous ne devons pas être soumis aux interdits inhibants de la sacralisation, dont la fonction est de clore d’emblée, toute contradiction.

 

La transcription humaine :

Elle reste problématique car elle suppose que le langage divin, quel qu’il soit, puisse être traduit en langage humain On peut également s’interroger sur les intentions personnelles du transcripteur, ses compétences, ses limites, sa personnalité, ses contraintes ? Voilà autant de questions que l’on doit se poser dès que des humains interviennent. On pourrait même se demander pourquoi Dieu qui devrait disposer de moyens considérables, n’est pas passé directement à une transcription écrite, tellement plus fiable et incontestable que l’orale.

 

Le corpus religieux :

Nous n’entrerons pas dans le détail des croyances ou de leur histoire, qui constituent la raison d’être des théologiens et autres docteurs de la foi. À l’intérieur de leurs religions, on peut les considérer comme de grands savants qui ont mobilisé des trésors d’érudition et d’inventivité pour argumenter leurs croyances. Cependant, vu de l’extérieur de leurs religions respectives, on peut aussi considérer les théologiens comme les plus grands ignorants car toute leur science serait le fruit de constructions chimériques dont ils ne sont que des experts crédules, peu soucieux de la vérité et de la simple raison.

Sans trop prendre parti, nous limiterons notre réflexion au stricte domaine de la logique.

L’expérience montre que les cultes s’élaborent sur de longues périodes pour constituer un corpus de textes, de légendes et de rites. Contrairement à ce que pensent le commun des croyants, les religions qu’ils pratiquent ont subi de multiples et incessantes évolutions, conséquences de querelles, opportunités diverses, erreurs ou mises aux points rendues nécessaires aux époques où elles ont prospéré. Beaucoup de religions voient cependant leurs dogmes se fixer autour d’un contenu théologique et doctrinal qui, étant présumé le meilleur, tend à proscrire toute modification ultérieure. L’ennui c’est que les églises qui ne possèdent plus les moyens de s’adapter sont l’objet de dysfonctionnements graves (cas de l’Islam actuel) ou, comme les civilisations, périclitent.

 

Les croyants :

Comme les langues maternelles, les religions s’apprennent dans l’enfance. Les croyants reproduisent donc la religion où le hasard les a fait grandir. Personne n’échappe à cette prédestination, bien qu’il soit possible, au cours d’une existence, et à la faveur d’apports culturels divers, d’embrasser d’autres croyances (par choix délibéré, ou par la contrainte de conversions forcées), voire, pour les plus incrédules, de toutes les abandonner définitivement.

Pour être croyant, il faut donc avoir reçu une éducation religieuse et s’adonner à une pratique rituelle dont le bénéfice incontestable sera de trouver des réponses aux questions existentielles que se pose tout individu doué d’intelligence. Ces réponses, quelles qu’elles soient, auront pour effet de calmer les angoisses du croyant et de lui apporter un certain bien-être. La véracité des réponses importe peu, d’autant que l’esprit critique du fidèle, inhibé par le mécanisme de la sacralisation décrit plus haut, l’empêche de douter. Comme le prétend Nietzsche « l’important n’est pas ce qui est vrai, c’est  ce qui aide à vivre ».

 

On voit, en résumé, que pour que la chaîne de communication allant de Dieu au croyant  fonctionne, plusieurs postulats sont impérativement nécessaires. Il faut, en effet, non seulement que Dieu existe, mais aussi qu’il soit compréhensible aux humains, et que les prophètes ou intermédiaires soient honnêtes et sains d’esprit. Ceci posé dans un souci de respect des croyants sincères, nous prendrons toute liberté de soumettre leur corpus religieux et leurs attitudes, à notre esprit critique, en utilisant sans parti pris la sagesse et la logique. Il existe, en effet,  une alternative pour répondre aux questions existentielles, mais elle implique un effort de curiosité et des dispositions intellectuelles : c’est celle de la connaissance, de la recherche philosophique et de la sagesse dont le moteur est la raison.

Cependant raison et foi font rarement pas bon ménage, la seconde ayant tout  à redouter de la première qui déjoue les pièges de l’irrationnel et s’affranchit des mécanismes d’autosuggestion de la foi.

 

Une compétition acharnée pour survivre et se développer

L’histoire montre que toutes les civilisations ont élaboré des religions variées et souvent incompatibles. Une approche globale et multiconfessionnelle du fait religieux commence à être possible au 21 ème siècle pour comprendre le recul de certaines religions (catholique), le retour du fondamentalisme ou de fanatisme (islam), ou la redécouverte de certaines autres (bouddhisme, animismes africains). Ces évolutions, bien que disparates et spécifiques à certains pays, ne sont pas dues au hasard. Elles nous incitent rechercher de manière rationnelle leurs causes, avec un souci d’universalité, et d’impartialité permettant, autant que possible une mise en perspective de ce qui peut advenir dans un monde ouvert par la médiatisation généralisée.

 

La compétition qui a toujours existé entre religions rivales n’a jamais favorisé une réflexion œcuménique. Pire elles ont toujours tenté de s’exclure pour s’éliminer. Soit physiquement, soit par des moyens théologiques. Le plus courant étant que l’infidèle, appartenant à une religion concurrente est systématiquement menacé de l’enfer. Cet argument contient cependant sa propre limite car nous sommes tous l’infidèle des autres religions, et donc logiquement… tous voués à l’enfer (à moins qu’une religion ne détienne à elle seule la vérité… ce qu’elles prétendent toute).

S’il n’y a plus aujourd’hui de véritables guerres de religions, il n’en reste pas moins que de nombreux conflits, sans doute aussi économiques, politiques ou idéologiques, se déroulent toujours sous la bannière de confessions religieuses.

La puissance des « églises » a cependant largement diminué au cours des siècles passés, dans la mesure où elle a été relayée par le pouvoir des états. Beaucoup de religions qui jouaient un rôle temporel n’ont plus désormais qu’une vocation spirituelle. La principale exception actuelle restant l’islam avec un ancrage social particulièrement puissant et une « branche armée » : l’islamisme fondamentaliste, sur lequel nous devons nous arrêter brièvement. 

 

S’il est incontestable que la quasi-totalité des musulmans sont de bons pères de familles pacifistes et vertueux, on constate qu’une application littérale du Coran et des hadiths, permet à certains extrémistes de justifier un terrorisme international d’une ampleur inconnue jusqu’à présent. Sans doute les Talibans sont animés d’une folie meurtrière exacerbée par des traditions guerrières et tribale, une haine des anciens colonisateurs et un nationalise arabe. Il n’empêche cependant, que le Coran et ses extrapolations, fournit indéniablement toutes les justifications à leurs exactions et à leur endoctrinement, en les confortant dans une bêtise surréaliste (leurs combattants et kamikazes ne partent-t-ils pas à la mort avec la glorieuse certitude d’accéder à un paradis grotesque ?). Les modérés disent évidemment que cette lecture du coran n’est pas la bonne, elle est cependant possible. La conséquence est qu’un doute est jeté sur l’Islam tout entier car il s’avère incapable d’extirper de son texte sacré les prétextes de barbarie et de prosélytisme qui ont produit un Ben Laden. C’est là pour l’islam et ses multiples obédiences un problème que les pays occidentaux ne sauront pas réduire avec des armes. Il montre que trop souvent les religions alimentent le malheur dont elles sont issues.

 

Le paradoxe de la foi

Plus que les polythéismes ou l’animisme, qui s’appuient sur une multitudes de divinités générées par des superstitions, les monothéismes ont favorisé le concept de foi. Il s’alimente de la sensation intuitive d’une entité supérieure que le croyant pense être, non pas une suggestion de son propre intellect, mais le résultat d’une relation avec le divin, voire d’un appel de celui-ci.

La foi peut être graduée, elle commence par une vague sensation déiste, mais peut aussi donner l’impression d’une présence divine en soi et conduire jusqu’aux possessions mystiques de certains saints. Pour le croyant la foi serait un paradoxal don de dieu, rationnellement inexplicable, mais qui justifie sa croyance.

Il semble que la foi résulte d’un processus mental naturel qui peut être renforcé par des conditions d’autosuggestion comme : la prière, la répétition des rituels, la magnificence des lieux de culte, la beauté des musiques et surtout les miracles (la vierge, dit-on, n’apparaît qu’à ceux qui croient en elle).

Le bénéfice de la foi, pour le croyant, est une forme de quiétude et même d’euphorisme. Celui-ci ressent une certaine jubilation, qu’il attribue à la grâce divine. La foi permet la dévotion à une cause religieuse (voire politique) mais aussi l’acceptation sereine de la mort ou de la souffrance. De sorte qu’elle a été justement qualifié « d’opium du peuple », boutade de Voltaire sur la religion, devenue pertinente depuis que l’on a découvert que notre organisme secrète lui-même ses endorphines qui déclanchent les sensations de plaisir et de bonheur en activant les zones appropriées du cerveau.

Si la foi peut être un processus mental magnifique qui génère la compassion et la sainteté, elle peut être aussi un moyen de manipulation qui produit les « fous de Dieu ».

 

Les religions chrétiennes

Si l’on s’intéresse aux religions chrétiennes, nous constatons que toutes se fondent sur le double message d’amour (de dieu et des hommes) du Christ transmis par les Evangiles. Pour admirable soit-il, ce discours ne saurait cautionner ce qu’en ont fait ses instrumentateurs. Sous leur férule, et en particulier celle de saint Paul, l’amour de Dieu s’est plutôt transformé en crainte du du péché, du châtiment sur fond de soumission doloriste. Quant à l’amour entre les humains : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé », il a rapidement été remplacé par la recherche de moyens de soumettre les croyants à une exploitation parfois cynique. On constate donc pour cette religion un grave détournement du message évangélique, du spirituel vers le temporel, à l’origine des dissidences comme le catharisme ou le protestantisme, mais aussi d’une perte de crédibilité considérable (jusqu’au 19 éme siècle, l’état pontifical possédait un vaste territoire, une police et une inquisition).

Elle est devenue la cible des philosophes du siècles des lumières avec des remarques comme celle de Voltaire : « La religion existe depuis que le premier hypocrite a rencontré le premier imbécile ». Depuis cette époque, à la faveur de la Révolution Française et de la laïcité, sa puissance et son rôle ont été considérablement réduits.

 

Cette religion traverse maintenant une crise profonde dans les pays occidentaux, où pour ne pas devenir un « musée »,   elle devrait évoluer radicalement. Mais les problèmes à résoudre sont innombrables et l’attitude concervatrice des papes actuels ne laissent pas augurer une adaptation harmonieuse au monde moderne. C’est le cas du déficit alarmant de prêtres, dû à une idéologie inadaptée relative au sacerdoce datant du XII ème siècle (laisser ou non le libre choix du célibat ou du mariage). Le danger, lorsqu’il n’y a plus de prêtres, c’est qu’il n’y a plus de pratique cultuelle, hors des sacrements basiques. Or il suffit d’une seule génération pour que s’interrompent les liens et usages de la religion.

On notera cependant que certaines obédiences chrétiennes plus pragmatiques connaissent un évident succès car elles répondent de diverses manières aux besoins de spiritualité ou de divertissement de leurs fidèles, en particulier en Amérique du nord, en Amérique Latine ou en Afrique.

 

Les religions de l’islam 

Si on s’intéresse aux religions de l’islam, le tableau est assez différent et digne du plus haut intérêt. Le message du prophète Mahomet est en effet plutôt éloigné de celui du Christ. Non seulement dans sa forme, mais surtout dans son contenu radicalement activiste, parfaitement explicite, autant que dans les exhortations du Coran ou dans les hadiths, ces témoignages des dires du prophète, transmis par les disciples. La conjonction du Coran et des hadiths constituent les sources du droit islamique.

Ce qui est suspect, avec les fondements de l’Islam, ce n’est pas comme précédemment l’inadéquation entre le message et son utilisation, mais plutôt un problème de simple logique. Si Dieu a bien les attributs que lui reconnaît l’Islam par les révélations même de son prophète, on pourrait être surpris qu’il ait fallu 22 ans à Allah pour délivrer le Coran à son intermédiaire. Compte tenu des moyens divins, il est surprenant que Dieu ait procédé d’une manière si laborieuse, et hasardeuse. Ce qui révéle un empirisme par trop humain.

D’autant que le nombre pléthorique de 6226 versets du coran ruine l’efficacité du message. Cette incohérence est encore aggravée par la présence de versets incomplets, incompréhensibles ou contradictoires. Il y a là, pour le moins, une négligence incompatible avec l’infaillibilité supposée tant de l’inspirateur que de l’intermédiaire.

 

Mais, nous dira-t-on, le Tout Puissant, dans son infinie sagesse, a donné aux hommes les moyens de rectifier les erreurs, manquements et contradictions en éclairant le Coran, par l’apport des hadiths. Cependant ce remède s’avére, d’un point de vue logique, pire que le mal. En effet, les hadiths sont également loin d’être irréprochables car ils résultent le plus souvent d’une succession de témoignages répétés verbalement (chacun a pu expérimenter la fiabilité hasardeuse du jeu appelé « téléphone arabe »). À telle enseigne qu’on a dû classer les hadiths en « sains » (leurs chaînes de transmission depuis le prophète sont fiables et multiples), en « bons » (leur fidélité est aléatoire), et en « faibles » (leur fiabilité est douteuse, mais… ils auraient pu être dits par le prophète).

 

Enfin sur le contenu général du Coran supposé transcription de la parole de Dieu, on se demande comment le maître de l’univers (omnipotent et intemporel, régnant depuis des milliards d’années, sur des milliards de galaxies, d’un univers allant de l’infiniment grand à l’infiniment petit…) se serait adressé précisément à un marchand chamelier, malin mais illettré. Pourquoi il lui aurait dicté si laborieusement des injonctions aussi triviales (on se demande, par exemple comment un Dieu si universel et omnipotent, pourrait s’intéresser sérieusement aux affaires sexuelles des humains, au moeurs, à l’adultère, au règlement du commerce, ou a des querelles entre tribus aujourd’hui oubliées?). De plus, pourquoi s’est-il essentiellement limité aux mœurs de bédouins et de marchands du 7 ème siècle en Arabie ?

 

Il y a là un vertigineux décalage et une inadéquation logique absolue !

 

Le bouddhisme

Toutes les religions ne fonctionnent pas sur le schéma précédent. Le bouddhisme en est un bon exemple. On pourrait penser qu’il s’agit plus d’une philosophie que d’une religion, c’est ce qui le rend attrayant pour les intellectuels occidentaux. Cependant l’examen des pratiques cultuelles, du corpus des textes sacrés et des légendes fantastiques, plonge l’adepte dans un mysticisme qui va très au-delà d’une simple éthique limitées à un discours proche du stoïcisme grec. La principale faiblesse du bouddhisme reste qu’il faut postuler le principe de la réincarnation codifié par de nombreuses lois. Cette faiblesse le fait rejoindre dans ses effets, le mécanisme de sanction et de récompense des religions du Livre.

Malgré ses 227 règles monastiques, son ouverture d’esprit, ses exigences morales, sa non violence et la recherche d’une perfection individuelle, font du bouddhisme une des religions les plus propices à un idéal altruiste compatible avec les vertus démocratiques.

 

Le communisme

On ne peut passer sous silence cette religion d’état, ne serait-ce qu’à cause de son influence sur le 20 ème siècle et de la bonne centaine de millions de morts occasionnés lors de ses purges, révolution culturelle, et autre « grand bond en avant ».

Tel que pratiqué par Staline ou Mao, qui en sont les prophètes, le communisme a tous les attributs d’une religion : doctrine sacralisée, hiérarchie, sanction (goulag) et récompense (promesse de lendemains enchantés), culte de la personnalité, catéchisme (conditionnement de la jeunesse). Ce n’est pas un hasard si le communisme a tenté d’éliminer les croyances religieuses traditionnelles concurrentes, réapparues en force depuis son écroulement. 

On remarquera que certaines personnes entrent en politique comme d’autres entrent en religion. Leur foi pour le parti, leurs leaders ou la cause qu’ils défendent est, toute proportion gardée, du même ordre que celle du croyant. Elle est de l’ordre du sacré (est sacré ce pour quoi on est disposé à donner sa vie). La faillite du communisme a clos le débat.

 

Le recyclage de l’impossible vers le symbolique et l’allégorique

Les textes sacrés de la plupart des religions ont été élaborés à une époque lointaine où la connaissance du monde était fort éloignée de celle dont nous jouissons de nos jours. Le recours à la magie, au surnaturel, au légendaire ou au miracle était fréquent. Cependant au fur et à mesure du progrès des connaissances, un certain nombre d’affirmations, souvent péremptoires des textes sacrés se sont révélées inexactes ou exagérément invraisemblables. Bien entendu, ceux qui ont eu l’audace de s’attaquer aux dogmes ont toujours été lourdement châtiés comme de dangereux blasphémateurs par les hiérarchies religieuses. Démontrer que le soleil ne tourne pas autour de la terre, ruine la thèse par laquelle nous serions au centre du monde. Expliquer que Dieu n’a pas créé l’univers en 6 jours, il y a six mille ans, remet totalement en cause la genèse. Prétendre que les espèces évoluent par mutations et sélection naturelle, ruine la possibilité d’une création achevée. Expliquer que le vol stationnaire des anges défie les lois de la mécanique et de la pesanteur, rend cette engeance improbable. Expliquer que nulle part on n’a trouvé le siège de l’âme immatérielle fait douter sérieusement de son existence…

 

Malgré toutes ces évidences, on trouvera toujours des « docteurs de la foi » pour soutenir des causes impossibles au plan de la logique et du simple bon sens, tout en faisant preuve d’une érudition admirable. Cependant, à partir d’un certain niveau d’aveuglement, ils ne sont plus désormais plus que des idiots savants ou des monomaniaques de la foi. Les mêmes qui nous diront sérieusement dans leur rhétorique pour clore le débat, que rien n’est impossible à Dieu car : « Dieu fait ce qu’il veut », ou extirperont un verset où « il est écrit que… » pour justifier n’importe quoi.

 

Fort heureusement pour les textes sacrés, les anomalies qu’ils contiennent passent plutôt inaperçues car elles ne sont révélées que progressivement (les chrétiens ont découvert depuis longtemps ce genre de virages en douceur). De plus, et c’est d’une grande habilité intellectuelle : ce qui devient impossible pour tout contemporain raisonnable, migre habilement vers un état « symbolique ». Le paradis, lui-même, auquel tout le monde croyait « dur comme fer », devient symbolique. Satan, qui a terrorisé des générations entières de croyants pendant des siècles, devient une simple allégorie de la punition divine. On évite d’ailleurs d’en trop parler car, si diable il y a, il ne peut qu’avoir été conçu par la volonté Dieu, lequel devient aussi diable. Cette logique discrédite le paradis autant que l’enfer, et ses serviteurs anges et démons et les mythologies apparaissent comme issus de vieux décors de théâtre, ou des papyrus des anciens égyptiens : les « livres des morts », qui donnaient aux candidats à l’ultime voyage, le mode d’emploi pour l’au-delà.

 

Tant que les religions s’adressent à des populations intellectuellement peu évoluées (ceci inclut le peuple, mais aussi les élites conservatrices), les dogmes s’appliquent, car les gens n’ont pas envie ni besoin d’être curieux. Le mécanisme de la sacralisation fonctionne assez pour inhiber leurs velléités de remises en cause. La religion peut alors continuer à jouer son rôle fondamental et fort bénéfique « d’opium du peuple ».

 

En passant du statut de vérité incontestable à celui d’histoires symboliques pour enfants, les textes sacrés, fondement des croyances et des dogmes, peuvent cependant être décrédibilisés. Or quand le doute s’installe, l’esprit critique s’éveille.

 

Quand le doute s’installe, l’esprit critique s’éveille

On peut en donner un exemple simple à propos de l’âme, sujet prodigieusement intéressant car il est à la base de toutes les religions qui utilisent abondamment ce concept sous des formes et des noms divers. Il véhicule l’intuition que quelque chose d’abstrait conditionne l’individu, ses pensées, sentiments, la conscience de soi.

Cette entité semble très réelle dans ses effets, puisqu’on bouge, pense, ressent ou croit. Elle est de plus très pratique pour expliquer la cause qui nous « anime ». En conséquence, puisqu’il y a des effets, il est normal qu’il y ait une cause qui s’appelle « âme ». Cette notion satisfait pleinement le commun des mortels car elle lui permet de plaquer sur son ignorance une explication.

Mais… d’où vient cette âme, comment est-elle logée en nous, quelle est sa nature, son mode opératoire, que devient-elle à notre décès ?

 

En effet, soyons un peu curieux… L’âme serait-elle matérielle ou immatérielle ?

 

Tout laisse à penser que, si elle existe, elle est matérielle car, cherchez bien : rien ne peut nous laisser postuler qu’elle soit immatérielle. Mieux, les neuro-sciences démontrent que tout ce qui caractérise intimement un individu : ses émotions, sa capacité sensorielle ou d’empathie, sa faculté de mémoriser, ses intuitions et jusqu’à ses croyances est intégralement régi par le cerveau. Et si l’humain a une âme qui serait son principe vital, tout démontre clairement qu’elle a son siège dans le cerveau et plus précisément dans le cortex préfrontal, ce qui constitue un privilège de notre espèce. Or, sans cerveau (matériel), que devient l’âme !

 

Si l’âme est matérielle, elle donc est périssable et ne peut nous survivre en aucune manière (à moins de savoir conserver, comme dans les films de science fiction, un cerveau tout seul en état de marche dans un bocal).

Si donc elle est périssable, cela signifie qu’on ne peut survivre à sa mort. La vie future, qu’elle soit au paradis ou en enfer (je ne parle pas de purgatoire car il n’a plus la cote) serait une vaine espérance.

Mais s’il n’y a ni enfer, ni paradis, il ne peut y avoir de sanction ou de récompense, dans ces conditions que deviennent le bien et le mal ?

S’il n’y a pas d’enfer, a-t-on besoin du diable ?

S’il n’y a pas de paradis, que penser de Dieu, des promesses de vie éternelle des religieux, de la réincarnation ? Etc.

 

Cette démarche incrédule et logique est celle des athées, dont on a peu parlé jusqu’à présent bien qu’ils aient autant, sinon plus que les autres, le droit d’exprimer des convictions, ne serait-ce que parce qu’ils ont rarement brûlé ni lapidé quiconque ne pensant pas comme eux. L’incrédulité n’est-elle pas une foi aussi respectable que l’autre ?

 

Religion et spiritualité

Le terme « spiritualité » est ambigu car il peut revêtir des significations très diverses. Il concerne toute activité mentale : réflexion, prière, méditation, contemplation, extase, recherche de connaissance, autosuggestion, ou simplement rêverie. On notera que ces activités et états psychiques sont fort différents et qu’il est fréquent que l’on passe de l’un à l’autre au cours des phases successives d’une activité spirituelle. L’esprit vagabonde souvent d’une pensée à l’autre et il faut une grande motivation et une certaine maîtrise pour en régler le cours.

Si ces états correspondent bien tous à une activité intellectuelle, notre connaissance du fonctionnement du cerveau humain n’est pas assez avancée pour nous permettre de comprendre comment ils sont produits. Chacun d’entre nous, pour les avoir personnellement expérimenté, peut cependant en avoir une idée assez précise. Il est par contre plus délicat de savoir où s’arrêtent les comportements paroxysmiques, déviants ou pathologiques. Les limites entre une activité spirituelle « normale » et la folie, le délire ou l’obsession sont parfois vagues et fluctuantes, dans la vie courante et plus encore en ce qui concerne les comportements mystiques. Ces limites peuvent varier  en fonction de l’état psychique du moment (dépression, peur, mauvaise conscience, euphorie…), lui-même tributaire de dérèglements endoctrinaux ou de l’influence de substances diverses comme les neuroleptiques ou l’alcool. Dans l’univers mental… rien n’est simple.

 

On associe cependant au terme spiritualité, une connotation positive de bien-être, de gratification personnelle, de réconfort, d’enthousiasme ou de joie. Beaucoup de fidèles ou de religieux utilisent d’ailleurs largement ces termes pour décrire les effets jubilatoires de leurs pratiques.

 

Nous ne cautionnerons pas l’abus de langage concernant la « spiritualité divine » du genre : « le saint-esprit pénètre par sa grâce l’âme des croyants en leur insufflant la foi ». Ceci sous-entendrait qu’il n’y a de spiritualité que religieuse, ou que le principe de la foi garantirait la spiritualité. Ce lieu commun est discutable, car la foi résulte d’une auto suggestion apportant au croyant la certitude que ce à quoi il croit possède une réalité incontestable. Une foi religieuse irréfléchie procède plus du conditionnement psychique que de la spiritualité.

 

Dans le monde « profane », les individus peuvent, connaître les mêmes sensations troublantes que le croyant, face à : la beauté, l’altruisme, l’amour, la compassion, la recherche de la connaissance, ou tout autre situation où est impliquée une quelconque activité intellectuelle, dont la moindre peut être une simple émotion.

 

On peut conclure sur ce point en soulignant que la spiritualité, marque de processus mentaux d’une infinie complexité, est la caractéristique qui distingue le mieux les humains des autres espèces animales. Elle peut tout aussi bien être profane que religieuse.

 

Le licite et l’illicite

Cette question que l’on se pose rarement dans le monde profane est pour les religieux d’une importance primordiale pour le théologien. C’est aussi flagrant dans le Coran que ce le fut pendant l’inquisition catholique. La vie quotidienne des fidèles est, en effet, balisée par une multitude de règles plus ou moins formelles dont on ne sait plus exactement si elles sont simplement culturelles ou vraiment religieuses. Par exemple :  se couvrir la tête (voile, kipa, burka, turban…), ne pas travailler (le vendredi, samedi, ou dimanche), ne pas manger certaines viandes, se laisser pousser la barbe…

Certaines règles sont devenues absurdes ou ridicules (par exemple, vestimentaires : juifs orthodoxes habillés comme en Pologne, il y a 2 siècles). Cependant elles ne peuvent être abrogées en raison des fondamentalistes, même si elles ne constituent plus un interdit pour le commun des fidèles (on peut par exemple manger du port dans des conditions sanitaires excellentes, inconnues il y a quelques siècles, lorsque les interdits ont été édictés). Les limites du licite et de l’illicite deviennent d’autant plus fluctuantes que les confessions cohabitent de plus en plus, et que les croyants d’origines diverses doivent respecter les usages des pays qui les accueillent. Comment faire shabbat lorsqu’on travaille en équipe ou aux quatre coins du monde. Comment exécuter ses cinq prières par jour, au bureau ou lorsqu’on conduit un avion ou un autobus ?

La question du licite et de l’illicite se pose également à l’encontre des profanes ou des autres confessions. Certaines religions sont encore intolérantes au motif qu’elles s’estiment détenir une vérité universelle. Cette réaction est d’autant plus forte qu’elles sont soumises à des lois et rituels coercitifs. L’obéissance dogmatique et le formatage intellectuel sont en effet, des nécessités vitales pour dissuader les « ennemis de l’intérieur ». Les religions dominantes craignent, plus que tout, la fuite de leurs ouailles vers des chapelles concurrentes. Les luttes entre des confessions voisines que ne séparent que quelques légers points de doctrine (qui nous semblent aujourd’hui incompréhensibles) n’en ont pas moins provoqué des conflits d’une sauvagerie absolue. Combien de bûchers et de massacres ont été perpétrés en invoquant l’hérésie ?

À mesure que recule la sauvagerie dans les sociétés civiles, se produit une moralisation des religions qui ne peuvent plus se laisser aller à des invectives trop injurieuses, à des anathèmes par trop démonstratifs à l’encontre des concurrents ou des sectes dissidentes (chaque religion établie a d’ailleurs commencé par être une secte : aucune n’est sortie toute armée de la cuisse de Jupiter). Les grands chefs religieux commencent même à se rencontrer, ce qui donne l’illusion de la reconnaissance mutuelle.

La raison principale de ces rapprochements plus médiatisés qu’effectifs, est que le respect minimum, propre à la paix civile, commence à s’imposer au monde religieux. Les lois laïques ayant supplanté les lois religieuses (pas encore partout…) les premières deviennent nécessaires et suffisantes pour baliser les contours d’une morale acceptable par tous, sur la base de l’altruisme.

 

La transmission de la morale 

Contrairement à ce qu’elles affichent, la morale n’a jamais été le principal souci des religions. Leurs objectifs essentiels étaient plutôt de conforter la puissance de leur organisation, de s’assurer la soumission des fidèles, et de susciter le prosélytisme. Elles se limitent généralement à une morale à minima correspondant à l’esprit des 10 commandements (lui-même déjà présent dans le « livre des morts » dans lequel était inséré un questionnaire sur les bonnes et mauvaises actions des postulants à la vie éternelle), c’est-à-dire au principe : « ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». De plus quand on se réfère à la Bible, au Coran ou à certains textes de l’Indouisme, l’archaïque loi du Talion est largement présente.

Le seul progrès indéniable a été apporté par les Evangiles (compassion, amour du prochain), avec cependant une réserve concernant le dolorisme lié à la figure du Christ, rédempteur des péchés humains au prix de ses souffrances et de sa vie. Ce dolorisme a induit un discours habile et pervers prétendant que plus on souffre ici-bas et plus on aura de jubilation au-delà. La douleur a  même été érigée en vertu salvatrice par Saint Paul et la martyrologie des premiers chrétiens.

 

Dans beaucoup de religions, l’essentiel de la morale est contenu dans l’application scrupuleuse de la loi qui précise les fautes et péchés et prévoit des sanctions rigoureuses : on coupe la main au voleur, on lapide la femme adultère. À l’évidence, il n’est pas possible, de nos jours, de qualifier de « morale » ce type de conduite archaïque et barbare permise autant par la religion que par des coutumes d’un autre âge. Pas plus que l’on puisse tolérer, l’excision des fillettes, la lapidation non seulement des femmes adultères, mais aussi de celles qui ont eu le malheur d’être violées, la prison des burkas, la polygamie, ou le fait de traiter les femmes comme une espèce inférieure.

 

La morale est évolutive, celle du moyen-âge où la vie ne valait pas cher, n’est plus applicable deux cents cinquante ans après le « siècles des lumières », ou la déclaration universelle des droits de l’homme, ou après des écrits comme le « Traité des trois imposteurs » ou le déchirant appel du curé Meslier. Pourtant aucune religion (franc-maçonnerie mise à part, mais est-ce la religion d’une morale universelle ?) n’a fait vraiment la promotion d’une morale fondée sur la tolérance, l’altruisme, le respect de la personne humaine.

 

Parmi toutes les tentatives historiques, retenons la géniale doctrine d’Epicure. Elle n’a malheureusement pas trouvé de promoteurs assez charismatiques pour ériger cette philosophie du bonheur et de la vertu jusqu’au rang de religion. L’humanité eut alors fait un grand pas qu’aucune des grandes religions n’est capable d’accomplir. Nous aurions alors une morale véritablement hédoniste dont le principe serait : « fais à autrui le bien que tu voudrais qu’on te fasse ».

 

Une  évolution  humaniste 

Il est évident que les hommes ne sauront pas se passer de mythes et de croyances, mais pas forcément en des dieux. Pourtant à chaque période de crise morale ou économique, les tendances religieuses se régénèrent.

L’influence des religions dans le monde est diverse et fluctuante. En règle générale, dans les pays « intellectuellement développés », elle a plutôt tendance à diminuer. Il n’y a cependant pas de corrélation absolue entre la richesse économique des pays et le degré de religiosité des populations. C’est ainsi qu’aux USA on trouvera des fondamentalistes chrétiens et parfaitement dépourvus de sens critique (Créationnistes, témoins de Jéhovah, et autres sectes activistes) alors que ce pays connaît un PIB des plus élevés au monde. 

 

Dans les sociétés traditionnelles où les populations sont peu instruites, les cultes restent fortement implantés et jouent encore un rôle considérable. Avec l’importance des flux migratoires, différentes religions qui s’ignoraient jusqu’à présent commencent à cohabiter en se respectant (ou en faisant semblant).

Le seul phénomène inquiétant est l’existence de l’islamisme fondamentaliste, avec la folie du terrorisme qui peut frapper partout, autant dans les pays musulmans, qui le condamnent plus ou moins mollement que dans les autres.

 

La grande question est de savoir comment remplacer chez eux le droit religieux, là où il perdure, par un droit laïc fondé, non sur la sanction du péché (cette coercition fonctionne de moins en moins bien…) mais plutôt sur une incitation à respecter des obligations civiques, celles-ci impliquant la vertu démocratique du respect de l’autre, du bien commun, de la liberté, de l’entre aide, n’est malheureusement pas innée. Cette vertu nécessite une éducation, ainsi que l’exemplarité et la dissuasion de lois justes et consensuelles soutenues par un gouvernement légitime. Il faut se rappeler que les religions, partie intégrante de nos civilisations ont un double visage : avec des intentions louables et de moyens criticables, ou avec des intenions criticables et des moyens louables.

 

Le bilan restant terriblement négatif, sans mettre en cause une religion plus qu’une autre, on doit désormais reconnaître que la plupart des religions surtout les plus totalitaires constituent un frein contre la raison et l’intelligence. Ceci est particulièrement douloureux à comprendre pour les croyants sincères et bienveillants, qui finissent par prétendre que ce n’est pas la religion qui est mauvaise, mais l’humain lui-même, ce qui est une manière de confondre la cause et les effets. L’humain ne fait que des religions à son image.

 

On peut, à cet égard s’interroger sur le rapport entre le monde occidental gouverné par la finance mondiale, qui fait cohabiter avec une parfaite bonne conscience, des nantis industrieux mais gaspilleurs des ressources écologiques, et une sous-humanité qui meurt de faim. Or la misère est largement dépendante de la culture, des tabous et des religions (influence sur la surnatalité). Les remèdes sont connus : il faut surtout radicalement stopper l’explosion démographique, totalement absurde et scandaleuse d’une population mondiale qui a doublé en un demi-siècle.

 

Certains pensent même que la conception religieuse de l’humain, « race supérieure de création divine, faite pour dominer la nature et assujettir le monde », est périmée. On mesure désormais que la croissance économique qui en résulte peut devenir suicidaire. Et nous aurions quelques leçons à prendre de ces populations « primitives » en voie de disparition, capables de vive heureuses, en harmonie avec leur milieu écologique. Ces populations ne sont pas si ignorantes que l’on pourrait penser. Elles ont en effet développé une intelligence pragmatique fondée sur le partage, le respect de la nature, et sur une pensée complexe mise en évidence par Claude Levi-Strauss.

 

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir là où règne toujours une misère intellectuelle et un obscurantisme qui fait que les prêtres, oulémas, marabouts, gourous, astrologues, et tous les exploiteurs de la crédulité humaine ont encore de beaux jours devant eux.

 

Cependant, malgré les imperfections inhérentes à notre nature humaine : belliqueuse, grégaire, égoïste et ayant une propension à la jouissance facile, il n’est quand même pas utopiste d’espérer une certaine évolution intellectuelle et morale. Sans doute sera-t-elle lente, avec des regains de barbarismes. Néanmoins, lorsqu’on examine une longue période historique, on peut relever quelques progrès. Non que l’homme lui-même ait pu évoluer en quelques milliers d’années (« l’homme est comme Dieu l’a fait, quelquefois pire »), mais parce que les conditions d’existence, les lois, le respect de la personne humaine ont progressé. On peut donc espérer que nos semblables, à moins d’une grosse bêtise (utilisation d’armement atomique par des fanatiques religieux) qui les rayeraient de la création, arriveront, avec ou sans Dieu, à se gouverner, de manière plus vertueuse, pour rendre notre monde « humanisé » et aussi vivable que possible.

 

« L’intelligence incite à la réflexion, et la réflexion conduit au scepticisme. Le scepticisme, lui, vous mène à l’ironie. L’ironie, cette mélancolie de la lucidité, à son tour, vous présente à l’esprit — qui se trouve en apport direct avec l’humour — qui fait si bon ménage avec la fantaisie. Et la vie devient une chose délicieuse, aussitôt qu’on décide dignement de ne plus la prendre au sérieux » (Patrice Nominé).

 

Peut-être un jour, l’homme se débarrassera de toutes ses superstitions et inventera une nouvelle religion qui n’aura plus besoin de Dieu puisque sa seule finalité serait l’humain et le bonheur.

 

Jacques NOZICK

Publié dans Philosophie pratique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Bonjour Jacques,<br /> Cela fait une éternité que nous ne nous sommes pas parlé, et j'espère que tu te souviens un tout petit peu de moi !<br /> Je viens de découvrir ton blog et j'y trouve beaucoup de réflexions sur des sujets qui sont les miens dans ces dernières années. <br /> Pour revenir au commentaire de ton article, j'ai lu un livre assez fantastique de Régis Debray : Le Feu Sacré : Fonctions du Religieux (Poche) Il reprend l'histoire des religions, le rôle des dogmes, etc. J'ai eu beaucoup de plaisir à le découvrir et j'y trouve de nombreux liens avec ton texte. Je te le conseille !<br /> En espérant pouvoir échanger avec toi bientôt.<br /> Philippe
Répondre