Le gros doigt de Dieu

Publié le par JEN

C’était un matin d’hiver à l’heure incertaine où le jour hésite à se lever. Dans son demi-sommeil, Emmanuel Dupont jouissait de la douce chaleur de son lit. Il s’accordait avec complaisance ces quelques minutes supplémentaires que l’on aspire à faire durer et pendant lesquelles on ne sait pas encore si l’on continue à dormir ou si l’on est déjà éveillé, lorsque soudain, il eut la sensation d’une présence dans sa chambre. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit, pointé sur lui un gros doigt et qu’il entendit une voix qui lui dit calmement : - C’est toi que j’ai choisi ! - Moi... répondit-il quelque peu surpris par cette intrusion - Oui toi, je t’ai choisi pour que tu apportes aux hommes ma parole - Heu... attendez, vous devez faire erreur... - Impossible, je suis infaillible, je t’ai sélectionné d’après des critères scientifiques. - Que me voulez-vous ? Excusez-moi, je ne comprends rien... - Je te l’ai dit : que tu portes ma parole à tes semblables - Vous devez vous tromper de personne - Non, tu es Emmanuel Dupont, fonctionnaire, tu as récemment écrit une critique de la Bible qui a retenu ma divine attention. Je sais aussi que ce texte était destiné à une de tes collègues en charge d’enseigner le catéchisme dans sa paroisse. - Je vois que vous êtes bien renseigné. Vous savez sans doute également que je ne crois pas en vous, et que cette collègue dont je suis hélas amoureux m’a négligemment éconduit. - Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Cette femme est prude, tu as eu bien tort de tomber amoureux d’une femme inaccessible. D’ailleurs ce n’est là qu’une histoire sans importance, en regard de ta mission. - Vous en parlez aisément, mais moi j’en suis malade... - J’ai dit « en regard de ta mission » qui est porter la bonne parole, comme tes illustres prédécesseurs de la Bible. - Attendez, moi cette mission ne m’intéresse pas ! - Comment Emmanuel Dupont, tu ne veux pas devenir un illustre prophète ? N’es-tu pas navré de voir combien notre pauvre Bible a vieilli, les bédouins de Palestine ont bien changé, les esclaves ont disparu, vos femmes ne portent plus le voile, et lorsqu’elles sont un peu légères, on ne les lapide heureusement plus et quant aux holocaustes de moutons, j’en suis devenu moins friand. Tu as conscience de tout cela puisque tu as rédigé une remarquable critique du nouveau et de l’ancien testament ce qui montre que tu as des prédispositions évidentes, et que tu pourrais être celui capable de réécrire cette pauvre Bible qui commence à vieillir. - Cette « remarquable critique », comme vous dites est surtout une remarquable connerie. Savez-vous exactement pourquoi je l’ai écrite ? Hé bien uniquement pour intéresser cette Claire à laquelle vous avez fait allusion. Pour la séduire, si vous préférez. Hélas le moins qu’on puisse dire c’est que ça n’a pas marché : elle n’a rien compris, je la soupçonne même de trouver sacrilège ma manière insolite de voir les choses. Alors vous comprenez que votre Bible, je n’en ai rien à faire, je vous avouerais même que je la trouve franchement illisible, archaïque, pleine de répétitions, elle ne suit aucun ordre logique. Vous avez beaucoup de chance que les gens considèrent votre Bible comme sacrée et lui accordent des vertus imaginaires. S’ils comprenaient comment elle fonctionne, ils en feraient beaucoup moins cas ! - Tu es sévère, Emmanuel Dupont, mais ta critique est intelligente, et tu es juste, c’est pourquoi je t’ai choisi. - Pourquoi ne choisissez-vous pas plutôt un bon chrétien, bien fidèle, qui écrira exactement ce que vous lui dicterez ? - Simplement parce qu’il faut accomplir cette mission avec une totale liberté d’esprit et un non-conformisme dont les religieux sont incapables. Leur liberté de jugement est assujettie à leur foi. On ne peut attendre d’eux aucune innovation. Alors qu’avec toi Emmanuel... à propos sais-tu ce que signifie ton prénom ? Cela veut dire : élu de Dieu, tu vois ce n’est pas un hasard. - Je vous remercie de votre confiance, mais je ne veux être l’élu de personne ! - Sauf peut-être de cette Claire, non ? D’ailleurs puisque nous parlons d’elle, reconnais que cette petite brunette à la maigre poitrine est une femme assez ordinaire. Comment a-t-elle pu te subjuguer ? En plus tu la connais depuis longtemps et tu tombes amoureux d’elle aussi soudainement. Tu ne trouves pas tout cela bizarre ? La seule chose que l’on puisse lui consentir ce sont ses yeux, d’ailleurs elle s’en sert assez bien pour te faire souffrir. Cependant mon pauvre Emmanuel, elle est insensible au romanesque, sans imagination ni ambition, seul le bonheur domestique l’intéresse... alors tu comprends, toi avec tes grands sentiments, tu n’avais aucune chance, cette petite femme n’était pas faite pour toi. Il était d’ailleurs prévu que tu échoues. - Mais pourquoi ? - Simplement pour que tu écrives ta critique, si tu n’avais rien eu à prouver, tu n’aurais rien écrit. Je suis sincèrement désolé de t’avoir fait subir les tourments d’un amour impossible pour en arriver où je voulais. Sache qu’avec les autres prophètes, et même avec Jésus, j’ai utilisé un procédé similaire. - Avec Jésus ? - Oui, ce pauvre garçon avait en horreur son charpentier de père. J’ai donc monté cette histoire de conception virginale. Pour Jésus tout valait mieux que d’être le fils de Joseph, alors évidemment fils de Dieu ça tombait bien. Malheureusement le pauvre a mal fini. - Il a pourtant bravé le romain Pilate, chassé les marchands du temple, et il est ressuscité ! - C’est ce que l’on a écrit plus tard. En fait, il a été crucifié comme un vulgaire agitateur qu’il était, et ce, dans l’indifférence générale. Ponce Pilate n’a prêté aucune attention à cet illuminé qui commençait à déranger les grands prêtres. Quant aux marchands du temple, il faut être naïf pour penser qu’ils se seraient laissé molester sans réagir par un simple va-nu-pieds. Enfin cette affaire de résurrection est un épisode qui a été ajouté par les rédacteurs des évangiles deux siècles plus tard, pour leur donner une fin un peu plus honorable, bien qu’un peu tirée par les cheveux... Je suis d’ailleurs assez mécontent de ces maladroits d’évangélistes qui n’ont même pas réussi à raconter une histoire identique. De cette confusion naissent aujourd’hui ce que les exégètes appellent fort heureusement des paradoxes... - Excusez-moi, tout ceci ne m’intéresse pas... vous auriez donc mis Claire sur mon chemin dans l’unique dessein de me faire écrire la critique de votre déplorable livre ? À cause de ce stratagème, je suis devenu amoureux d’une femme ordinaire incapable de partager mes sentiments, d’une bonne ménagère qui va à la messe tous les dimanches ? - Ne soyez quand même pas trop sévère, d’un point de vue professionnel, c’est une excellente collaboratrice, une remarquable exécutante... - Je me contrefiche de ses qualités professionnelles. La seule chose à laquelle j’aspirais était de l’attendrir par mes sentiments, et je me dis que peut-être elle finira par m’aimer un peu. Elle m’a d’ailleurs donné quelques preuves que je ne lui étais pas indifférent... - N’exagérons rien... dès le lendemain matin, elle se ravisait. Elle faisait semblant de ne plus rien comprendre à tes beaux discours. Tout était prévu comme cela. - C’est dégueulasse, vous nous avez manipulé... je lui ai offert mon amour pour rien, vous êtes ignoble ! - Sans doute, comme tu l’as si bien écrit dans ton joli texte : « Le Dieu de l’ancien testament est odieux, jaloux, inconséquent. Celui des évangiles est moins une caricature dans la mesure où il devient aussi un Dieu d’amour. Sa seule limite est d’être trop indisposé par ceux qui ne suivent pas ses règles et d’avoir la faiblesse de n’accorder ses faveurs qu’à ses courtisans ». Tu as la dent dure... - Puisque je suis manipulé, j’en suis donc irresponsable. Pourquoi ne l’écrivez-vous pas vous-même votre nouvelle Bible ? Pourquoi avez-vous besoin d’un pauvre type comme moi, aussi stupidement amoureux, bafoué par une petite femme prude, égoïste et peut-être même frigide ! - J’ai besoin de toi parce que je n’ai aucun moyen d’intervenir directement sur les humains. Je suis, comme vous autres humains, prisonnier des lois immuables de la physique et du temps que j’ai créés, et qui s’appliquent désormais à moi-même. J’ai de plus accordé aux hommes, bien inconsidérément je l’avoue, un certain libre arbitre contre lequel je ne peux plus grand-chose, ce qui m’oblige à les laisser se débrouiller tout seuls. Comprends bien, cher Emmanuel que si je pouvais intervenir de manière plus efficace ou spectaculaire, je l’aurais fait depuis longtemps. Je n’aurais pas été contraint d’utiliser comme intermédiaire des bédouins comme ce Moïse pour faire connaître mes commandements, ni ces pauvres prophètes illettrés incapables de s’exprimer autrement que par des paraboles auxquelles personne ne comprend rien. Combien j’aurais aimé écrire clairement mes ordres dans le ciel, faire de gigantesques campagnes d’affichage, intervenir à la télé à la place de la publicité ou accaparer le réseau internet ou les satellites... Au lieu de quoi je continue à utiliser ces misérables interprètes que sont les prêtres. - Vous êtes injuste avec vos serviteurs, c’est vrai qu’ils sont souvent fort bêtes, et lorsqu’il y a des clercs sensés nous les aimons, mais au moins sont-ils sincères, eux ! Quant à vos croyants, l’image de troupeau de Dieu leur convient assez bien, ils sont superstitieux, conformistes, querelleurs, grégaires, bref de vrais moutons humains comme vous les aimez. - Oh mais il y a encore pire que les prêtres, ce sont les types aussi butés que toi qui a eu la bêtise de tomber amoureux comme un collégien d’une femme inconséquente. - C’est une femme sérieuse... et c’est son droit de ne pas m’aimer, je ne suis quand même pas irrésistible ! - Reconnais pourtant, Emmanuel, que les femmes qui sont passées dans tes bras étaient physiquement plus... avantageuses et moins égoïstes que cette pimbêche. Dans quelques semaines tu ne comprendras même pas que tu aies pu l’aimer, et... tu seras heureux d’avoir enfin accepté mon offre. - C’est vous qui avez gâché le bonheur qu’elle aurait pu me donner, alors à cause de cela, je refuse ! - C’est incroyable ce que tu peux être têtu Emmanuel. Je vais te faire une dernière proposition : si tu acceptes de porter mon message, je mettrais Claire dans ton lit. Elle deviendra voluptueuse et insatiable. Tu en jouiras à ta guise. Alléchant... non ? - Vous voulez dire qu’elle sera entièrement soumise à toutes mes fantaisies, comme un simple objet de plaisir ? - Oui à toutes, tu en feras ce que tu voudras... petit veinard ! - Le problème c’est que maintenant, à cause de vous je ne suis plus très sûr d’avoir envie d’elle. Vous avez tellement essayé de me convaincre qu’elle ne valait pas l’amour que je lui porte... - J’ai sans doute exagéré, elle est quand même bien cette petite avec ses grands yeux noirs... - Ce qui me choque, c’est que vous vous êtes servi d’elle pour me piéger, que vous l’avez dévalorisé. Vous êtes un ignoble maître chanteur. Je refuserai toujours, qui que vous soyez je vous hais pour mon amour que vous avez saccagé ! L’Eternel resta quelques instants muet devant autant de détermination et d’arrogance. Puis la colère l’envahissant, il prononça d’une voix grandiloquente: - Misérable petit fonctionnaire, tu as eu tort de me braver, je te briserai comme j’ai brisé les autres ! On entendit un rugissement de rage qui dégénéra en un rire diabolique et le doigt se montra de nouveau pendant que ces paroles résonnaient : - Emmanuel Dupont tu as voulu braver ma volonté, je te le dis en vérité, ma colère sera terrible ! Le gros doigt se rapprocha, comme pour l’écraser, alors la panique s’empara d’Emmanuel Dupont. Il se mit à hurler. Soudain ce même hurlement qu’il venait de pousser l’expulsa de ce qui se révéla n’être qu’un cauchemar. Longtemps après que le gros doigt de Dieu eut disparu, Emmanuel Dupont continua de trembler. Lorsqu’il retrouva ses esprits, il se remémora ce que le Dieu de son rêve lui avait dit pour le détacher de Claire, et trouva dans ces paroles une certaine vérité. Puisqu’elle ne partageait pas ses sentiments, et surtout qu’elle n’avait aucun besoin de lui, il devait donc étouffer son ridicule amour. Il jura de s’y employer. Quelques jours plus tard, le temps avait fait son oeuvre. Il se rendit compte que la personne qu’il avait tant aimée n’avait plus rien de commun avec cette femme bien pensante et routinière employée à son ministère. Elle n’était qu’une pure invention de son esprit troublé par le jeu de quelconques homones. Lorsqu’elle se présenta devant lui pour faire signer un dossier, il fut surpris de découvrir qu’elle était plus maigre, plus petite et que, sur le visage, elle avait un bouton qui lui avait jusqu’alors échappé, de même qu’un tic inattendu, supposé remettre place une mèche de cheveux rebelle.

Jacques NOZICK

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B
Ce mardi 16 Juillet 2008 BELLAMY EBO-EBO MON TESTAMENT je donne tous mes biens à la personne avec qui je les utilisais de mon vivant cette personne qui est ma femme marié légalement ou non. Je demande qu on ne m enterre pas au village chez mes parents laisser à ma femme prendre la décision. Aucun parent n aura d ordre à donner sur qui ou quoi que ce soit.Tous les droits qui me seront versés de n importe où et de n importe qui doivent être déversés à ma femme. je veux que ma tombe soit toujours propre que ma femme y veille. Je demande des messes aprés ma mort. Que ma retienne ce code qu elle a déjà 4578 je la remercie de m avoir accompagnée pendant mon opération à hauts risque ou on s est retrouvé à deux du début jusqu à la fin. j ai confiance à ma femme je sais qu elle va penser à mon neuve et ma nièce. Merci . Bye. Tous mes testaments comptent surtout le plus récent.
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